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II

La macchia ne manque pas d’étendue. La grande propriété ne va pas sans des bois ; elle en pourrait tirer un bon profit, si les débouchés étaient plus faciles et la vente plus assurée. Le bois est cher à Rome ; il le deviendra bien plus quand la population augmentera et qu’elle s’y chauffera autrement qu’avec ses misérables pots à braise. Pourtant les forêts ne rapportent presque rien à leurs propriétaires dans l’agro romano. La raison n’en est pas seulement dans l’insuffisance des moyens de transport, elle est surtout dans ce fait incroyable : les forêts romaines ne produisent rien ou presque rien. Ne vous en prenez pas au sol, n’accusez pas la nature ; si on la laissait maîtresse, nous aurions ici la forêt vierge et une luxuriante végétation. A qui donc s’en prendre ? A une légère erreur dans les mœurs rurales : chez le saint-père, on n’avait pas établi une distinction bien nette entre forêt et pâturage. Les deux mots sont ici presque synonymes, et l’on y appelle simplement le bois una macchia, une tache dans la prairie. L’expression est pittoresque, mais de plus elle est exacte. Ces arbustes rabougris que les bestiaux ont tondus et les pâtres cent fois rognés ne font guère de loin l’effet que de grandes herbes qui dépassent un peu les autres. Vus dans la rase campagne, ils font tache au milieu des herbes folles.

Les propriétaires sont trop loin pour avoir des prétentions sérieuses à la surveillance ; les fermiers sont dans le même cas, puisqu’ils habitent la ville pour la plupart. Leurs baux sont rarement assez longs pour qu’ils aient intérêt à donner au bois le développement nécessaire et à mettre la macchia en coupe réglée. Nous verrons qu’ils en tirent un profit plus immédiat en les livrant à leurs bestiaux.

Bref, c’est l’abandon, le désordre, l’incurie, qui ont paralysé cette force vive et diminué, sinon détruit, cette précieuse ressource. Pas même l’idée d’un aménagement des bois ; tout va au hasard, comme les charbonniers, les bœufs, les moutons et les chèvres veulent bien que tout aille. Malheur surtout aux arbres isolés : quels qu’en soient l’âge et le prix, il faut qu’ils soient détruits tôt ou tard ; voyez plutôt ces gros troncs noircis qui semblent des rocs volcaniques sur les vastes pelouses : ce sont les restes de robustes chênes que l’on a tout simplement incendiés, les racines et les pieds tordus en demeurent comme pièces de conviction dans ce procès de barbarie. Questionnez les pâtres sur l’essence de ces autres troncs dénudés : ce furent des chênes-liège, vieux de cent ans au moins ; tandis que, pour alimenter leurs feux en plein air, vaccari et