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sont traitées plutôt avec les rigueurs de la discipline qu’avec les égards de l’humanité. Quand on comptera sur les champs les ouvriers par dizaines et non plus par centaines à la fois, on pourra s’occuper de chacun d’eux, on pourra leur procurer des abris. Lorsqu’ils auront moins de chances de succomber à la peine, un plus grand nombre cédera aux tentations du gain.

Les voyageurs sont parfois cruellement naïfs. Qu’un malheureux, hâve, livide, boursouflé, leur tende la main dans les rues de Rome : Va travailler, paresseux ! Hélas ! c’est pour avoir travaillé dans les champs que l’infortuné est en proie aux fièvres. S’il demande où trouver du travail, on lui montre sottement la campagne déserte. Non, ils ne sont pas paresseux, ces pauvres ciocciari qui affrontent la mort pour gagner dans ces plaines un morceau de pain. Qui leur eût cédé un pouce de cette campagne déserte ? Princes et moines les en auraient chassés, s’ils avaient voulu en remuer une motte de terre, y planter à leur compte un grain de mais.

Le travailleur ici est bien un étranger que rien n’a sollicité encore à s’établir sur le sol. Ce n’est pas sans sacrifices et sans deuils que les futurs propriétaires ou fermiers parviendront à s’y installer. Nous ne croyons pas possible le morcellement immédiat en petits lots ; mais on peut attirer un plus grand nombre de ces travailleurs à demi acclimatés déjà et fixer ces nomades. S’il y eut (nous parlons de trois mille ans) sur ce même sol presque autant de villes qu’il y a aujourd’hui de fermes, c’est que, sous le régime des petites républiques, des petits états qui s’y partageaient les terres, l’entreprise individuelle s’était approprié les champs. Chaque citoyen en avait une parcelle. Il fut un temps où il était défendu d’en posséder plus d’un arpent ou deux par tête. Curius, le vainqueur de Pyrrhus, refusait le don de 12 hectares comme mesure illégale. La conquête et la ruine des petits états indépendans par la république romaine ont commencé la ruine de la petite propriété. L’enrichissement de quelques familles après les guerres puniques, les agrandissemens territoriaux aussi, continuèrent le mal en substituant l’esclave au travailleur libre. Les dévastations qui accompagnèrent les guerres civiles et sociales contribuèrent à faire le vide. L’empire romain ne sut pas mieux utiliser son omnipotence qu’en partageant les campagnes, veuves de leurs travailleurs primitifs, entre des affranchis et des favoris d’empereurs. Le blé pour la subsistance du peuple romain, on le fit venir de Sicile, puis d’Égypte ; on le vendit à des prix dérisoires, quand on ne le distribua pas gratis au peuple-roi, devenu mendiant. Comment des importations faites dans de telles conditions n’auraient-elles pas tué la production locale par une concurrence impossible ? Enfin vint le flot des barbares.