Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/469

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la vie nationale. D’un autre côté, dans ce brave et aimable pays, même éprouvé comme il l’a été, même démembré et atteint, dans son prestige comme dans son intégrité, il y a toujours incontestablement d’immenses ressources. On sent une vitalité prête à renaître, à la première manifestation d’une influence bienfaisante. La France a été désorganisée, elle reste sous le coup des incomparables malheurs auxquels l’imprévoyance l’a exposée ; la sève n’est point tarie en elle, les éléments d’une grande existence nationale nécessaire à l’Europe elle-même ne manquent pas. Oui, tout cela existe en dépit de la défaite, des révolutions et de toutes les amertumes d’une situation si violemment, si brusquement compromise. L’avenir reste ouvert, et cependant il est certain que pour le moment il y a dans la marche de nos affaires un indéfinissable malade. Les choses ne vont pas comme elles pourraient, comme elles devraient aller. L’action flotte indécise à la merci des incidens de tous les jours. On chemine assez péniblement, assez laborieusement dans un brouillard qui ne se dissipe un instant que pour se recomposer un peu plus loin. Il y a des élections, on en attend au moins une lumière, un indice, et la lumière n’apparaît pas. Les plus graves problèmes d’organisation publique, de reconstitution militaire, de finances, sont engagés devant l’assemblée ; on croit toucher à une solution, on la désire, dût-elle imposer des sacrifices, et la solution fuit sans cesse ; on se trouve le plus couvent en présence de demi-mesures sortant de discussions confuses. Bref, les questions restent en suspens, le temps passe comme s’il y avait beaucoup de temps à perdre, comme si chaque jour perdu ne nous rapprochait pas des fatales échéances, et les faits, ces terribles faits, avec lesquels il n’y a point à se quereller inutilement, retombent de tout leur poids sur l’esprit public à la fois agité et déçu. C’est une situation à laquelle il faut prendre garde, qui, en se prolongeant, finirait peut-être par se gâter, et où les résultats qu’on a déjà obtenus pourraient être compromis avec les résultats qu’il nous reste à conquérir encore.

Que dans ce malaise assez général et assez sensible aujourd’hui il y ait une certaine impatience propre à ceux qui ne se rendent pas toujours compte de la difficulté des choses et des lenteurs inévitables d’une œuvre de reconstitution nationale, qu’il y ait surtout de ces mobilités et de ces inquiétudes si naturelles à l’impétuosité française, oui, sans doute. Le pays ne voit pas toujours distinctement tout ce qu’ont fait pour lui ; il est pressé, et aussi prompt à se troubler devant l’inconnu qu’à se soumettre dès qu’il sent la direction qu’il demande. Le pays ne se dit pas quelquefois que ces hésitations et ces obscurités dont il se plaint tiennent à ses propres divisions, au conflit intime, permanent, d’une multitude d’intérêts qu’on veut concilier, Rien n’est plus évident, l’impatience n’a pas toujours raison, la politique a d’inévitables néces-