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sités. Seulement la question est de savoir si à ces nécessités et à ces malaises, qu’il serait difficile d’éviter aujourd’hui, on n’ajoute pas cet autre mal d’une laborieuse et confuse indécision dans les pouvoirs qui sont chargés de conduire les affaires publiques, de remettre à flot ce grand navire désemparé qui porte la fortune de la France. Assurément ce n’est point la bonne volonté qui manque à ces pouvoirs sortis dans un jour de malheur des entrailles de la France. Assemblée et gouvernement ont montré depuis près d’une année autant de zèle que de dévoûment. Ils ont porté dans leur œuvre l’amour du pays, un sentiment profond des amertumes qu’on léguait à leur patriotisme, de l’immensité des efforts qu’ils avaient à faire pour ramener la France à la vie avant de pouvoir la ramener à la prospérité et à la grandeur. Cette œuvre de désintéressement et d’honneur, l’assemblée et le gouvernement l’ont accomplie dans ce qu’on pourrait appeler la première partie. Ils ont étanché le sang qui coulait à flots par toutes les blessures de la guerre étrangère et de la guerre civile. Ils ont rétabli la paix au prix le plus cruel, le plus insupportable, au prix d’un déchirement douloureux. Ils ont vaincu et désarmé les factions meurtrières qui menaçaient d’achever la ruine du pays. Enfin, sur ce sol ébranlé par de si formidables orages, à travers tous les obstacles, ils ont remis ensemble la France sur pied.

Jusque-là rien de mieux. C’est la première partie de l’œuvre patriotique de l’assemblée et du gouvernement ; elle est maintenant accomplie en ce sens que le péril le plus immédiat et le plus saisissant a été conjuré. Ce n’est point, il est vrai, sans de nombreux et pénibles tiraillemens, sans des efforts chaque jour renouvelés, qu’on a pu arriver jusqu’à ce point ; on y est pourtant arrivé en subordonnant tout à cette considération souveraine de la délivrance nationale, en maintenant dans toute son intégrité ce faisceau de forces morales représenté par l’union de l’assemblée et du gouvernement. Comment se fait-il donc qu’aujourd’hui, surtout depuis que l’assemblée est revenue de ses vacances, on se laisse aller insensiblement à une sorte de malaise, à l’impatience et au doute ? Il faut bien qu’il y en ait une cause. La véritable raison, c’est qu’on ne fait peut-être pas tout ce qu’il faut pour guider, pour soutenir le pays dans la dangereuse carrière où il est engagé, pour le raffermir contre ses défaillances ou ses entraînemens, c’est qu’on semble oublier que les résultats acquis jusqu’ici par une politique de patriotisme et d’abnégation ne sont qu’un commencement, c’est qu’au lieu de rester sur les hauteurs d’une inspiration réellement nationale, on se perd dans les détails. Plus que jamais, on retombe sous le joug des préoccupations de partis, on se remet à discuter, à propos de la moindre pétition, sur le définitif et le provisoire, on revient à toutes ces tactiques qui ne profitent à coup sûr ni au gouvernement ni à l’assemblée, qui ne peuvent