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de Versailles et il court au champ de bataille où il a remporté tant de victoires. Fort bien. M. le président de la république triomphe, c’est son habitude ; on ne peut cependant fermer les yeux sur des inconvéniens dont l’esprit libéral de M. Thiers lui-même ne peut qu’être frappé. Que peut faire l’assemblée ? Si elle cède au charme de la parole ou à l’autorité d’une telle intervention, elle a quelquefois le chagrin de céder sans être convaincue, de sacrifier des opinions qui lui sont chères, qu’elle a reçues en quelque sorte du pays ; si elle résiste, elle s’expose à infliger un échec au chef de l’état, à provoquer une crise de gouvernement devant laquelle elle recule de tout son patriotisme. De toute façon, elle est nécessairement gênée, et de plus, comme sur quelques-unes des plus grandes questions elle ne partage pas toujours les vues de M. le président de la république, elle se trouve avoir travaillé pour rien. Quant au ministère lui-même, il est trop clair qu’on lui fait un rôle aussi pénible pour sa fierté que peu utile pour les affaires. Il en résulte, à vrai dire, une situation fausse pour tout le monde, pour le ministère, pour l’assemblée, pour M. le président de la république, et ce qui en résulte surtout, c’est une pratique du régime parlementaire des plus hasardeuses, qui conduit quelquefois à de véritables aveux d’impuissance.

On vient de le voir dans la discussion ouverte au sujet de toutes ces questions de finances sur lesquelles des discours aussi substantiels qu’instructifs ont été prononcés par M. de Soubeyran, par M. le duc Decazes, par M. Desseilligny, avant que M. Thiers lui-même prononçât son grand et décisif discours d’hier. La manière dont cette affaire a été conduite est certainement un des plus curieux spécimens de la politique d’aujourd’hui. Pendant plus de six mois, une commission parlementaire a travaillé pour arriver à créer des ressources nouvelles de façon à mettre le budget en équilibre. Il s’agissait de trouver les 250 millions qui sont encore nécessaires pour élever les recettes au niveau des dépenses. La commission avait ses préférences marquées pour certains impôts qu’elle proposait ; le gouvernement, lui aussi, avait ses vues arrêtées sur d’autres impôts, notamment sur celui qui frapperait les matières premières. Il y a eu des conférences sans nombre, des négociations, des apparences de transactions. A quoi est-on arrivé en fin de compte ? Un de ces jours derniers, la commission parlementaire a été obligée de venir avouer qu’elle abandonnait tout ce qu’elle avait fait, laissant l’assemblée en présence des seuls projets du gouvernement. Si le gouvernement a voulu en venir là, au risque d’exposer le régime parlementaire à une véritable déconvenue, il a réussi. L’assemblée se trouve par le fait aujourd’hui entre un certain nombre d’impôts qui sont justement ceux qu’elle approuvait le moins d’abord, qui ont tous les inconvéniens les plus graves, et qui ont surtout ce désavantage d’atteindre la force productive dans le travail par l’impôt sur les matières pre-