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mières, le crédit par l’impôt sur les valeurs mobilières, au moment même où le pays devrait se ménager toutes les ressources du crédit et du travail pour faire face aux immenses charges qui pèsent sur lui. Tous les impôts ont des inconvéniens, tous les impôts sont impopulaires sans doute ; il n’y avait qu’un moyen de les relever et de les faire accepter, c’était de choisir une forme telle que le pays pût y voir d’une manière distincte un sacrifice rigoureux, même odieux si l’on veut, mais temporaire et exceptionnel comme l’épreuve dont ce sacrifice est le déplorable prix.

Les malheurs de la France ont été si grands qu’ils ressemblent trop souvent encore à un rêve. On ne peut s’accoutumer à croire que ce rêve soit tout simplement la réalité la plus dure, et on fait quelquefois comme si rien n’était arrivé, comme s’il n’y avait plus qu’à reprendre une histoire interrompue. Il faut cependant se résoudre à regarder la réalité en face, et se souvenir que ces événemens, dont nous ne pouvons encore mesurer les conséquences, ont créé une situation où tout est changé, où tout se tient dans la réédification de notre grandeur, où il y a peut-être autant à faire pour la fortune de l’esprit que pour notre fortune matérielle ou notre fortune politique. Oui, l’esprit est malade comme tout le reste, la vie morale et intellectuelle est pleine de troubles ou d’alanguissemens, et là aussi il y a une direction à retrouver, un rajeunissement à provoquer.

Que peut l’Académie française dans cette œuvre de réparation ? Elle ne peut pas tout assurément, elle peut beaucoup, à la condition de se rappeler, elle aussi, que ce n’est plus trop le moment des fantaisies, des petites combinaisons ou des petites tactiques d’autrefois, que tout est changé dans les affaires de l’intelligence, comme dans les affaires politiques. L’Académie a un mérite, elle est la seule chose parlant encore de la vieille France, la seule institution restée debout depuis plus de deux siècles sur un sol pulvérisé par les révolutions ; elle représente un certain ordre intellectuel, une certaine culture supérieure, l’esprit de tradition dans la société littéraire. La question est de savoir comment elle exercera son influence dans la situation nouvelle faite à tout le monde. L’Académie n’a point tardé d’avoir sa crise intérieure ni plus ni moins que l’assemblée nationale. Elle se réunissait, il y a quelques jours à peine, pour procéder à plusieurs élections, et dès le premier pas elle s’est trouvée, en face d’un de ces incidens qui sont comme une révélation. Un des nouveaux élus en effet est M. Littré que l’Académie reçoit aujourd’hui après avoir refusé de l’accueillir, il y a quelques années, pour ses opinions philosophiques, et la première conséquence de l’élection de M. Littré a été la retraite de M. l’évêque d’Orléans, qui a donné sa démission avec éclat, en lançant un manifeste d’une éloquente gravité. La résolution de M. Dupanloup a pu être un objet de surprise pour ceux qui ne réfléchissent pas ; en fin de compte,