Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/598

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

revenans » comme en Égypte. « Le charme infini de la nature, dit-il en parlant de cette contrée, y conduit sans cesse à la pensée de la mort, conçue non comme cruelle, mais comme une sorte d’attrait dangereux où l’on se laisse aller et où l’on s’endort. Les émotions religieuses y flottent ainsi entre la volupté, le sommeil et les larmes. Encore aujourd’hui les hymnes syriaques que j’ai entendu chanter en l’honneur de la Vierge sont une sorte de soupir larmoyant, un sanglot étrange[1]. » Dans la vallée subsistent encore de nombreux restes de ces « tombeaux d’Adonis, » sortes de « saints sépulcres, » où les femmes des mystères antiques, dans l’ivresse d’une voluptueuse douleur, venaient couvrir de larmes et de baisers le cénotaphe du bel adolescent qu’une bête sauvage, un ours ou un sanglier, avait tué dans la montagne, et dont le sang rougissait l’eau du fleuve ; aujourd’hui encore, après la saison des pluies, le Nahr-Ibrahim, prend chaque année une teinte rougeâtre. La piété des Libaniotes avait certainement localisé en divers lieux la mort d’Adonis. A Ghineh, on voit sculptée sur deux pans de rocher la passion du dieu. Ici, un homme vêtu d’une tunique courte reçoit, la lance en arrêt, l’attaque d’un ours. Là, une femme assise sur un siège dans l’attitude de la douleur. C’est la Baalath, l’épouse inconsolable du dieu de lumière et de vie, « la grande déesse, » la « déesse céleste, » comme l’appellent les inscriptions de Syrie ; c’est l’amante inconsolable, enfiévrée d’amoureux désirs, qui ne veut ni ne peut croire à la mort du bien-aimé, et qui partout cherche son Adonis, comme Isis son Osiris et Cybèle son Atys.

C’est après la moisson, en automne, quand du haut de l’éther le soleil défaillant n’envoie plus que quelques pâles rayons à la nature en deuil, qu’avaient lieu à Byblos les fêtes d’Adonis. Pour représenter symboliquement la mort du dieu, les femmes plantaient dans des vases de la laitue, de l’orge et du fenouil, et exposaient ces plantes sur les terrasses des maisons. Bientôt fanées et flétries, ces plantes étaient l’image du dieu défunt. Dans le sanctuaire, des flots d’encens montaient autour du lit funèbre où, sur des tapis. « plus moelleux que le sommeil, » gisait le simulacre d’Adonis, embaumé dans la myrrhe aux acres parfums et dans des herbes aromatiques d’une senteur énervante. Plus tard, on alla jusqu’à descendre le dieu dans une chambre sépulcrale. Au septième jour, Adonis ressuscitait, si la résurrection suivait immédiatement la fête des larmes, et alors éclataient ces accens de joie délirante qui, en Orient, succèdent si rapidement aux gémissemens et aux sanglots. Toute femme, et non pas seulement les pleureuses d’Adonis, devait

  1. Mission de Phénicie, p. 216.