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illustration, et en vérité le plus mauvais service qu’on aurait pu lui rendre eût été de le prendre au mot. Que serait-il arrivé, si on eût accepté sa démission ? Le pays aurait été sans doute exposé à perdre le bénéfice de cette convalescence de quelques mois qui lui a donné un repos fortifiant ; il aurait eu peut-être à traverser tout d’abord quelque crise brusque et violente, qui eût été une épreuve de plus, et que personne n’a le droit de provoquer, justement parce que les crises de ce genre sont toujours de dangereuses épreuves. Quant à M. Thiers personnellement, il aurait perdu d’un seul coup l’honneur du courageux travail qu’il poursuit depuis un an ; il serait resté pour beaucoup de ses contemporains, pour ceux qui ne connaissent pas cette riche nature, un homme d’un prodigieux esprit, mais d’un caractère mobile, capable de laisser interrompue l’œuvre la plus glorieuse, et de s’arrêter en chemin pour quelque froissement d’opinion, pour quelque dissentiment secondaire. Il jouait sa gloire et sa destinée d’homme d’état.

Que M. le président de la république ait des idées sur toute chose, qu’il veuille les soutenir, personne ne peut songer à l’empêcher d’avoir des idées et de les défendre, même avec sa vivacité naturelle. Ce qu’on lui demande, c’est d’admettre tout simplement que d’autres idées puissent se produire et se faire accepter.

Ce qu’on peut lui demander surtout dans son intérêt et dans le nôtre, c’est de rester autant que possible dans la constitution Rivet, d’abord en s’abstenant de donner une démission qu’il ne peut offrir sans péril pour le pays et pour sa propre gloire, secondement en évitant, lui le chef de l’état, de se jeter sans cesse au plus épais des mêlées parlementaires. Sur ce dernier point, M. Thiers, dit-on, a senti le danger ; il se serait promis tout récemment, il aurait promis, à ses ministres d’aller moins souvent à l’assemblée. Il ira toujours assez souvent, il ne peut pas renoncer à ce qui a été l’éclat de sa carrière, à ce qui est encore sa force, à la parole. L’essentiel est qu’il se fasse quelquefois une protection contre lui-même de cet article de la constitution Rivet qui lui impose l’obligation de n’aller à l’assemblée que dans des circonstances exceptionnelles, et de prévenir d’avance le président de ses interventions. Si ce petit article eût été mieux observé, la dernière crise aurait été sans doute évitée. Que M. le président de la république laisse ses ministres aller à l’assemblée, défendre leurs œuvres, triompher ou succomber, son pouvoir n’est point en jeu, il n’est ni envié ni menacé. Quand M. Thiers resterait une sorte de souverain constitutionnel, un chef d’état dirigeant les affaires générales du pays sans descendre dans tous les détails, sans se risquer dans les luttes de tous les jours, sans céder à la tentation d’élever à tout instant des questions de cabinet qui deviennent des questions de gouvernement, le beau malheur ! Serait-ce donc là une diminution si cruelle de son autorité et de son prestige ?

Que résultera-t-il de cette crise, maintenant qu’elle est finie, sinon