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Il y eut un frémissement parmi les combattans : — Vengeons-le, dirent quelques voix, et ils allèrent se faire tuer.

— Il est mort, dis-je doucement à Fidelis, rien ne vous retient plus ici ; il faut maintenant songer à votre sûreté…

— C’est justement ce qu’il m’écrit, répondit-elle avec un sourire amer en me tendant le billet de Magelonne, qui était ainsi conçu : « Tout est perdu ! il faut filer au plus vite. Je vais t’attendre dans les lignes prussiennes ; tâche de me rejoindre, pendant que nos hommes tiennent encore. »

— Il n’y a pas de temps à perdre, dans quelques minutes il sera trop tard. Venez, je vous sauverai !

— Et ceux-ci ? dit-elle en montrant les derniers combattans. Elle se retourna vers l’enfant. — Sauve-toi, s’écria-t-elle. Va dire au général que je l’attends ici ; il m’y trouvera, s’il revient.

L’enfant partit en courant ; il n’avait pas fait dix pas qu’une balle l’étendit mort.

En ce moment, une clameur terrible s’éleva du bas du jardin. Les soldats venaient de franchir le mur d’enceinte, et s’élançaient au pas de course pour enlever les points culminans. Il y eut alors une inexprimable confusion ; les insurgés éperdus fuyaient dans toutes les directions, l’épée dans les reins ; un flot nous entraîna. Les balles pleuvaient autour de nous comme les grêlons au mois d’avril ; des cris, des plaintes, des menaces, se croisaient dans l’air. J’entraînai Fidelis en la tenant par la main ; un groupe d’insurgés fuyait avec nous. — Rendez-vous ! Halte ! cria une voix sonore… Mais aussitôt une effroyable décharge retentit ; quelques insurgés tombèrent. L’un d’eux roula dans mes jambes, et m’entraîna dans sa chute…

Je restai quelques instans étourdi, ne sachant si j’étais ou non blessé… Quand je revins à moi, les soldats étaient loin. Je me dégageai péniblement du cadavre dont les bras s’étaient crispés autour de moi, et dont le sang inondait mes vêtemens… Le premier objet qui frappa mes regards, ce fut le corps de Fidelis, étendu sur la terre à quelques pas de moi. Je retrouvai des forces pour courir vers elle, la prendre dans mes bras et la porter derrière un tombeau de marbre qui nous cachait en l’abritant. Le mouvement la ranima ; elle ouvrit les yeux. — Je le croyais brave, murmura-t-elle d’une voix faible : qui aurait pu penser qu’il fût lâche ? — La bataille est finie, n’est-ce pas ?

— Tout est fini.

— Tant mieux ! je vais mourir tranquille.

— Vos blessures ne sont peut-être pas mortelles, dis-je pour la tromper, car elle avait la poitrine fracassée par un éclat de mitraille.

— Oh ! je ne regrette rien. Hier j’aurais pleuré, si l’on m’avait