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dit que je mourrais ce soir ;… mais à présent j’ai assez de la vie, je suis lasse de voir couler le sang. C’est une belle mort pour moi que la mort d’un soldat.

Elle fut prise d’étouffemens. Je parvins à la dresser debout contre le marbre du mausolée, où je la soutins avec effort ; sa tête fléchissait comme un fruit trop mûr. Pourtant elle reprit haleine. — J’aurais voulu faire une prière avant de mourir, dit-elle, mais je n’en sais pas ; on ne m’a appris que des chansons.

J’avais les yeux pleins de larmes, elle s’en aperçut. — Pauvre Tédesque ! vous m’aimiez donc ? Je suis bien fâchée de m’être si souvent moquée de vous !

— Je ne m’en suis point aperçu, répondis-je en pleurant.

Elle fut alors reprise de suffocation. — Vous le voyez, les opales portent malheur ! n’en donnez jamais à votre fiancée, murmura-t-elle en se laissant glisser entre mes bras qui ne purent la retenir ; elle tomba. — C’est un lâche, s’écria-t-elle encore ; je voudrais ne l’avoir jamais aimé ! Ce furent ses dernières paroles.

BALTHAZAR A HERMANN SCHLICK.

Mayence, 25 mai.

Pendant que tu prodigues au ménage Magelonne ton temps, et tes soins, que tu t’efforces de gagner à prix d’or la confiance du mari et l’amour de la femme, que tu consacres à cette noble entreprise ton âme innocente et la haute culture de ton intelligence, ta Dorothée, lasse de souffrir, découragée de ses pleurs inutiles, de ses plaintes mal accueillies, s’est enfin décidée à chercher quelques distractions dans les devoirs de la charité ; elle consacre aux blessés ses jours inoccupés et son cœur désabusé. On m’écrit qu’elle est admirable de zèle, de dévoûment ; elle puise des forces inattendues dans son étonnante activité, et reprend à vue d’œil le goût de la vie et la sérénité perdue. Si j’en crois ce qu’on dit, elle aurait trouvé quelque chose de plus encore, — de tendres consolations qu’elle ne cherchait sans doute pas. Certain blessé français ne serait point étranger à son heureuse renaissance, et notre farouche haine nationale serait ébranlée dans l’âme de ton amie. On me parle aussi du petit cousin Joseph Schaunitz, qui a perdu deux doigts de la main au siège de Metz, et oublie ce désagrément en courtisant ta Dorothée ; ce Joseph a bien des chances d’être agréé à ta place. Enfin tu peux perdre le souci de tes anciens engagemens et calmer les remords qui te poursuivent peut-être dans tes nouvelles amours. Pour peu que tu tardes quelques semaines à revenir, tout souvenir du passé aura disparu dans l’âme de Dorothée, et l’on te remerciera sans doute de ton inconstance propice.

Je reprends cette lettre, interrompue depuis quatre jours