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longueur et pourraient former une rue continue de 1,100 mètres. Eparses comme le sont celles des villages, ces habitations occuperaient 2 ou 3 kilomètres dans tous les sens. Voilà le contraste, et M. Godin s’y appesantit. Au familistère, 1,500 personnes sont pour ainsi dire sous la même main ; elles peuvent se voir, se visiter, vaquer à leurs occupations domestiques, se réunir dans des lieux publics, faire leurs approvisionnemens sous des galeries couvertes, sans s’occuper du temps qu’il fait et sans avoir plus de 160 mètres à parcourir. Dans nos villages, l’habitant a de longues courses à faire pour vaquer aux mêmes besoins, et rien ne le garantit des intempéries. Il en est de même de l’enfant, que de fortes distances séparent souvent de l’école et dérobent ainsi à l’œil des chefs de famille, tandis qu’au familistère les écoles sont à portée et ouvertes à une surveillance constante de la part des parens ; on suit les enfans jusque dans leurs classes, on peut se mêler à leurs jeux ; ni les lieux ni l’occasion ne se prêtent aux maraudages qui, en pleine campagne, leur sont familiers. Évidemment les conditions sont meilleures.

Sur aucune circonstance, l’enthousiasme de M. Godin pour son œuvre n’est pris en défaut. S’agit-il des approvisionnemens, il s’indigne de la part que les détaillans y prélèvent sur les consommateurs et se félicite de ce que ses colons à lui échappent à ce régime. Au familistère les intermédiaires peuvent être supprimés ; toutes les marchandises seraient achetées par un syndicat qui les céderait aux chalands sans bénéfice aucun et après le simple prélèvement des frais ; on exclut ainsi les parasites, ou bien, si l’on conserve les profits du détail, on les restitue au prorata des consommations quand arrive le règlement définitif. Il n’y a d’autre charge que le paiement des comptables et de leurs agens. C’est à peu près le système des magasins coopératifs. Les choses prennent forcément ce tour dès que l’ouvrier devient non-seulement le locataire, mais le pensionnaire du patron. La plupart des services se transforment ; ils ne sont plus individuels, ils sont collectifs pour les denrées et pour les fournitures grosses ou petites. Comme il y a des boulangeries et des boucheries, il y a des approvisionnemens d’étoffes, de bonneterie, de chaussures, de mercerie, de lingerie, acquis en bloc au meilleur prix possible, cédés en détail par fractions à peu près équivalentes. D’autres économies se font sur tout ce. qui est d’usage commun, les exercices, les jeux d’adresse pour les enfans, les salles d’étude, les vastes cours vitrées, les jardins, les pelouses, les allées dans lesquelles ils s’ébattent aux heures de récréation, à quelques pas de la demeure de leurs parens ; mais où le service commun est sans prix pour un ménage d’ouvrier, c’est dans la préparation des alimens. Qui ne sait à quoi en sont réduits ceux qui