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de constater qu’à ce moment commença la lutte formidable que la race aryenne soutint dans ces régions contre les diverses fractions de l’innombrable race finno-mongole.

Comme la Russie n’a guère occupé l’attention de l’Occident qu’après l’avènement des Romanov, on s’est d’autant plus aisément imaginé qu’elle sortait alors de « l’état sauvage » qu’on était porté à regarder le moyen âge comme une époque de barbarie absolue. Dans son Histoire de Russie sous Pierre le Grand, Voltaire affirme que, sous les princes de la « grande dynastie de Rurik, » qui pourtant élevaient des palais et des églises aux coupoles dorées, les Russes n’avaient ni villes ni maisons dignes de ce nom, se contentant de simples huttes en bois enduites de mousse ! De nos jours, on peut lire dans des ouvrages français que la civilisation de la Russie commence en 1613, quand, après la période d’anarchie qui sépare les Rurikovitchs des Romanov, une famille issue d’un « Prussien venu en Russie vers 1350 » remplace « la dynastie d’origine barbare et féodale, de droit de conquête, héritière des mœurs et de la violence tartare. » Supprimer d’un seul trait de l’histoire de la civilisation Rurik, le fondateur de l’empire, sainte Olga, la Clotilde des Russes, saint Vladimir, qu’on a pu comparer à Charlemagne, saint Alexandre Nevsky, saint Michel de Tchefnigov, qui a pris place parmi les martyrs de la société chrétienne luttant contre la barbarie, c’est comme si l’on effaçait de l’histoire de France les noms des Clovis, des Charles Martel, des Pépin, des Charlemagne. Sans doute, à l’époque des Plan de Carpin et des Rubruk, ces voyageurs peuvent croire que Rurik et ses successeurs ont en vain essayé de faire sortir un état régulier de l’anarchie dans laquelle la Scythie a vécu tant de siècles. Les Mongols ont comme un torrent noyé le pays entier dans des flots de sang ; mais au temps de ces soldats d’Attila que Priscus a visités sous leurs tentes, la civilisation gréco-romaine n’avait-elle pas également disparu dans une partie de l’Europe ? Quand plus tard les Magyars bouleversèrent l’Europe orientale, la ruine de ces malheureuses contrées, ne semblait-elle pas aussi irréparable ?

L’invasion mongole n’est donc qu’un des épisodes de lai lutte de l’Irân et du Tourân, qui, dure depuis l’époque historique. Si les Rurikovitchs avaient continué d’occuper leurs premières possessions, ils auraient dû combattre surtout la fraction boréale de la race, finno-mongole ; mais Oleg, qui exerçait les fonctions de régent après la mort de Rurik, ayant enlevé Kiev aux Normands qui s’étaient établis au sud, d’autres difficultés se présentèrent sur ce terrain. Les Russes se trouvaient avoir pour voisins au midi l’empire des Khazars (les Agathyrses d’Hérodote). Ce peuple guerrier avait fondé