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et les lampes d’argent, les vases sacrés d’or et d’argent, les habits sacerdotaux, resplendissans d’or et de perles, les images miraculeuses enrichies de pierreries et de grosses perles. Malgré la prospérité que ces faits supposent, dans un pays aussi septentrional les fourrures continuèrent à être un important objet d’échanges. Marco Polo, qui parle de la Russie après l’invasion mongole, c’est-à-dire à une époque où la « grandissime province vers le nord, dont les habitans sont simples et beaux, blancs et blonds, ont plusieurs rois et chaque peuplade son langage particulier, » n’avait plus guère de relations commerciales, Polo, tout en disant que ce n’est pas « un pays de commerce, » ajoute que les Russes « ont beaucoup de fourrures de grande valeur, comme zibelines, hermines, vairs, ercolins, renards, des plus beaux et des meilleurs du monde. » Dans le roman d’Alexandre, poème français de ce temps, l’auteur met aussi le « vair de Russie » parmi les objets les plus précieux.

Mais au temps des Carpin et des Rubruk, il n’était pas plus facile de supposer que le pays sortirait de ses ruines que d’avoir une idée des temps meilleurs qu’il avait traversés. Aussi la Russie nous apparaît-elle dans leurs narrations moins comme un pays soumis à la domination étrangère que comme une contrée dont l’ancienne population aurait presque disparu. Les états despotiques ont assez de fois pratiqué cette politique d’extermination pour qu’on en ait quelque idée. « Nous avons, dit Rubruk en racontant son retour, employé deux mois pour aller de Caracarum jusqu’à Baatu (l’Ordou) cour de Bâtou, était entre le Jaïk et le Volga), et durant tout ce temps-là nous n’avons trouvé ni ville, ni village, pas même aucun vestige de maisons, ni d’habitations, mais seulement des sépultures et tombeaux, excepté un seul village fort mauvais, où nous ne pûmes même trouver du pain. » Le sol russe, sans avoir autant souffert, n’avait pas été épargné. Dans cette dissolution d’une société entière, le brigandage, comme il arrive en pareil cas, avait pris le plus déplorable développement. La vie des sauvages Brodnikis dans les déserts du Don semblait presque la seule possible dans un état qui ne laissait entrevoir aucun rayon d’espoir. Le découragement était d’autant plus profond qu’on sortait d’une situation qui avait entretenu bien des illusions.

Malgré les ravages des nomades, malgré les guerres civiles, malgré les luttes inhérentes à toute société qui laisse une grande action aux forces individuelles, les Rurikovitchs s’étaient rendu compte de l’importance du négoce et avaient fait respecter les lois du commerce qui enrichissait le pays. Les chroniques allemandes et Scandinaves montrent quelles étaient les relations de la florissante Novgorod avec le nord et le centre de l’Europe. Kiev