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pape, reproche aux « habitans de l’Occident, » de mépriser les autres hommes, et de méconnaître par un aveuglement incompréhensible l’action providentielle qui a guidé les pas des soldats invincibles de l’Éternel et de son représentant Djinghis. On voit que, si les Mongols avaient eu leur Bossuet, il n’aurait pas été embarrassé pour ajuster une philosophie de l’histoire à quelque Discours sur l’histoire universelle. Les Rurikovitchs, qui semblaient plus exposés que les Occidentaux à s’incliner devant ces prétendus décrets du ciel, ont eu la gloire de ne pas désespérer de l’avenir, de la patrie et de la civilisation chrétienne. Leur soumission aux caprices des maîtres de l’Asie, leurs fautes, leurs guerres civiles, les luttes acharnées de deux branches fameuses, ne les ont pas empêchés de prendre avec le temps une revanche éclatante ; les noms de Dimitri Donskoï (1389-1425), d’Ivan III (1505-53), d’Ivan IV (1584-98), correspondent à des époques de plus en plus désastreuses pour les Mongols, et l’Asie était partout vaincue lorsque les fils de Rurik sont descendus du trône des tsars.

Déposant avec la puissance leur ancienne fierté, les conquérans de la Russie ont fini par courber la tête devant ce pouvoir spirituel qu’ils dédaignaient quand ils faisaient trembler le monde ; mais ce ne sont pas les évêques de Rome qui ont profité de ces dispositions. Il était réservé aux pontifes de L’Hassa de conquérir à la papauté bouddhiste ces terribles nomades qui bravaient les envoyés d’Innocent IV. M. Kœppen[1] a raconté avec quelle persévérance et quelle dextérité les chefs de la hiérarchie lamaïque ont poursuivi la conversion des Mongols au bouddhisme. Ils se vantent d’avoir réussi mieux que les représentans du pape à donner des preuves de leur mission divine, que les kha-khans demandèrent en vain aux religieux catholiques. Le pontife le plus éminent que le lamaïsme ait eu jusqu’à présent, Sod-Nams-Dschamtso, a sauvé l’église lamaïque en gagnant les hordes mongoles à la doctrine du Bouddha.

Au temps de leurs conquêtes, il est impossible que les farouches soldats des kha-khans n’aient pas fait une comparaison entre ces anachorètes bouddhistes « menant, — c’est Rubruk lui-même qui parle, — une vie merveilleusement étrange et austère, » et ces prêtres chrétiens, nestoriens, arméniens et autres, dont la « mauvaise vie et l’insatiable avarice » donnaient aux sujets de Kuyûk et de Mangou « plus d’horreur et d’aversion que de révérence pour la loi chrétienne. » En outre, ils trouvèrent les lamas plus habiles à faire des miracles que leurs chamans et les messagers du pape. Godan, petit-fils de Djinghis khan, fut guéri par Pandita, grand-lama de Sa-Kya (Thibet), d’une maladie attribuée à l’influence du dragon.

  1. Die Lamaische Hierarchie und Kirche.