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salle du nouvel Opéra. En politique, j’en conviens, la musique ne saurait avoir de tendance formelle ; mais il importe souverainement qu’elle soit honnête, qu’elle soit bonne, car il dépend d’elle, de son esprit, — remarquez bien que je ne dis pas de son opinion, — il dépend d’elle de relever ou d’abaisser le milieu national. Quant au musicien, je ne sais pas ce qui l’empêcherait d’avoir une opinion, et, si c’est un galant homme, de s’y tenir.

Méhul, Chérubini, pratiquèrent cette manière de voir, et lorsque le gouvernement cessait de répondre à leur idéal et de citoyens et d’artistes, ils n’hésitaient pas à se retirer, dût-il leur en coûter des sacrifices d’amour-propre et de fortune. Né Italien, porté en France au plein de l’effervescence universelle, Chérubini avait acclamé d’enthousiasme l’aurore de la révolution. Hoche, Mirabeau, furent ses dieux, il chanta ses premiers hymnes à leurs mânes, et les grandes fêtes. patriotiques l’eurent pour célébrant. Plus tard, lorsque la république, qu’il avait adoptée, devint l’empire, Chérubini comprit que sa place n’était plus parmi les coryphées du nouvel ordre de choses. L’auteur classique de Médée se retira devant l’auteur de la Vestale, chantre inspiré, pompeux et théâtral du militarisme triomphant, lauréat du prix décennal. Le grand style s’effaça devant le style napoléonien, qui n’est ni l’antique, ni la renaissance, ni le rococo, et que la musique de Spontini, comme les tableaux de David, comme l’architecture et les meubles de cette époque, représente. Chérubini était de ces hommes qui savent mettre de la dignité dans leur vie, de ces artistes tels qu’il nous en faudrait beaucoup à l’heure où nous sommes. Tant que dura l’empire, il évita le sourire et la faveur du maître, se tint à l’ombre, travaillant à des œuvres d’importance moindre, s’isolant dans ses affections, écrivant de la musique toute sentimentale. Au moment où Napoléon touchait à son apogée, Chérubini ne composait même plus ; il faisait de la botanique, herborisait, dessinait des plantes.

Avec la restauration seulement, il reparut, mais transformé, croyant. C’est une sotte erreur de s’imaginer que tout ce qu’il y eut de religieux dans le mouvement de la restauration fut hypocrisie de cour et moyen de gouvernement. Il y eut là une véritable atmosphère de vie nouvelle, réparatrice, dont tout le monde respira les bienfaits, et qui, malheureusement pour nous, ne s’est point retrouvée au lendemain de nos derniers désastres, ce qui rend en 1872 la position plus critique et plus grave qu’elle n’était en 1815. Ce ne sera pas une des moindres gloires de la restauration d’avoir, parmi tant de chefs-d’œuvre qu’elle vit naître et resplendir, suscité les grandes compositions religieuses de Chérubini ; lui aussi, comme Chateaubriand, Lamartine et Lamennais, l’esprit d’un temps nouveau l’animait, l’enflammait, et Dieu sait si l’esprit de cour eût