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allait fusiller. Il avait cinquante-quatre ans. Tout à coup un soldat s’aperçoit que la chevelure du captif grisonnait à vue d’œil et appelle de ce côté l’attention du major : celui-ci put suivre les progrès de la décoloration, qui devint complète dans le temps de l’interrogatoire qu’on faisait subir à ce malheureux avant de le passer par les armes.

On remarquera que ce cipaye était précisément arrivé à l’âge où le changement de couleur de ses cheveux devait se produire naturellement : l’effroi ne fit donc qu’accélérer un travail organique déjà préparé ou même commencé. Tous ces faits ne permettent plus guère de rejeter comme autant de fables les récits des historiens. Il est assez singulier cependant qu’ils appartiennent tous au XVe et au XVIe siècle. Ce qu’on a raconté de Marie-Antoinette ne paraît point exact. Aucun renseignement du temps ne donne à croire que ses cheveux aient blanchi, comme on l’a prétendu, dans la nuit de sa condamnation ; elle avait déjà grisonné à l’époque de la mort du roi. Le médecin hollandais Junius rapporte qu’un seigneur espagnol surpris dans un couvent et condamné par Ferdinand le Catholique à avoir la tête tranchée devint tout blanc dans la nuit qui suivit le jugement. Le roi de Castille lui aurait même, à cause de cela, fait remise de la peine capitale. Pareille aventure serait arrivée, dit-on, à Ludovic Sforza le jour où il tomba aux mains de Louis XII, et au seigneur de Saint-Vallier, le père de Diane de Poitiers ; mais ce ne fut pas à ses cheveux blanchis qu’il dut la grâce de la vie. Henri IV racontait, à qui voulait l’entendre, que lors de la Saint-Barthélémy il était resté vingt-quatre heures anéanti, la tête dans les mains, et qu’au bout de ce temps sa barbe et ses cheveux étaient devenus blancs au menton et aux tempes, là où les mains avaient appuyé. Les dires du roi gascon ne méritent peut-être pas très grande confiance ; mais il est intéressant de retrouver cette circonstance du contact des mains dans un autre cas. On prétend que le sire d’Andelot, quand il apprit le supplice de son frère Pierre, compromis dans l’affaire des comtes d’Egmont et de Horn, resta aussi plusieurs heures la tête appuyée sur une de ses mains ; quand il la releva, une partie de sa barbe et du sourcil du même côté étaient devenus blancs. La plus touchante de toutes ces histoires est celle de Guarini, le professeur de grec de Vérone, un des plus purs esprits de la renaissance. Au dire de Virunio, les cheveux de Guarini devinrent blancs tout à coup à la nouvelle de la perte en mer d’une caisse de manuscrits qu’il était allé lui-même chercher à Constantinople. Est-ce que toute lare-naissance n’est pas dans ce petit fait ? Des manuscrits grecs perdus ! c’était plus qu’un malheur de famille, plus qu’une calamité publique ; c’était une catastrophe pour le monde entier. L’homme si