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chemins de fer d’intérêt local s’opposent la plupart des objections qui ont été développées plus haut contre la création d’une grande ligne de Calais à Marseille ; objections morales, financières et politiques de l’ordre le plus élevé. La concurrence faite aux compagnies, en bouleversant l’économie du système, porterait atteinte aux contrats sans profiter à l’intérêt public ; les finances de l’état seraient compromises, un capital considérable risquerait d’être gaspillé ; on aurait bientôt le désordre, les excès de la spéculation et la ruine. Nous tomberions, après trente ans de sagesse, dans les fautes qui ont été commises en Angleterre, et qui ont causé de grandes pertes. Ce serait la désorganisation de notre plus belle industrie[1].

Est-ce à dire qu’il faille empêcher la construction des chemins de fer d’intérêt local et priver les départemens de la faculté qui leur a été attribuée ? Non sans doute, c’est uniquement une question de mesure et de prudence. En voulant faire trop ou trop vite, on risque de faire mal et d’aboutir à une spéculation ruineuse. Parmi les chemins de fer déjà concédés, il en est qui ne seront exploités que très difficilement, parce que l’importance du trafic a été inexactement calculée. Les entrepreneurs auront réalisé des bénéfices sur la construction, puis l’affaire périclitera. Sur d’autres points, on présente des projets pour desservir des parcours où le gouvernement se propose lui-même, quand il aura les ressources nécessaires, de tracer de grandes lignes conseillées par un intérêt stratégique. On s’exposerait donc à un double emploi, c’est-à-dire à une dépense superflue. La ligne stratégique sera utile pour le trafic local, tandis que la petite ligne, construite dans d’autres conditions, ne répondrait pas aux exigences du service militaire. Il est préférable de se résigner à un ajournement. Les divers projets ne doivent donc pas être appréciés isolément, alors même qu’ils conserveraient le caractère local. Quant aux moyens d’exécution, la constitution du capital que les concessionnaires demandent au public n’est pas toujours très saine. Ce capital consiste principalement en obligations. Il est naturel que l’on profite de la faveur que ce genre de titres obtient sur le marché ; mais cette faveur, qui s’explique pour les grandes compagnies garanties par l’état, ne se justifie pas au même degré pour ces entreprises nouvelles, et n’est-il pas à craindre que, si les obligations des chemins de fer d’intérêt local venaient à subir de fortes

  1. Un avis du conseil d’état, rédigé en 1869 par M. Vernier, rapporteur de la section des travaux publics, a exposé avec une grande force les motifs d’intérêt public qui s’opposaient à l’établissement d’un chemin de fer d’intérêt local de Saint-Étienne à la limite du département du Rhône. Ce document contient toute la doctrine en cette matière.