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qu’ils s’accordent avec le concile. » Le désordre était au comble. Le légat Lucentius, s’adressant aux magistrats, leur dit : « Apprenez à ces gens, s’ils ne le savent pas, que dix hommes ne peuvent faire un préjugé contre une assemblée de six cents évêques! » Mais les Égyptiens criaient toujours : « Ayez pitié de nous, on nous tuera! — Entendez-vous le témoignage qu’ils rendent de leurs évêques? répétait-on dans l’assemblée. — On nous fera mourir, continuaient les Égyptiens, ayez pitié de nous! Faites-nous plutôt mourir ici. Que l’on nous donne ici un archevêque ! Anatolius connaît la coutume d’Egypte (il avait été apocrisiaire d’Alexandrie avant d’être archevêque de Constantinople), il vous dira que nous ne désobéissons pas au concile, mais que nous suivons la règle de notre province. On nous tuera si nous y manquons, ayez pitié de nous! Vous avez la puissance; nous vous sommes soumis ; agissez, nous ne réclamons point. Nous aimons mieux mourir ici par ordre de l’empereur et du concile. Pour Dieu, ayez pitié de ces cheveux blancs! Si l’on veut nos sièges, qu’on les prenne, nous ne désirons plus être évêques; faites seulement que nous ne mourions pas. Donnez-nous un archevêque; nous souscrirons comme vous le demandez; et, si nous résistons, punissez-nous. Oui, choisissez un archevêque; nous attendrons ici jusqu’à ce qu’il soit ordonné. »

Cette scène déchirante, la vue de ces vieillards pleins de larmes, émurent les magistrats et les sénateurs. « Il nous paraît raisonnable, dirent-ils, que les évêques d’Egypte demeurent en l’état où ils sont, à Constantinople, jusqu’à ce qu’on institue un patriarche de leur province. — Eh bien! reprit Paschasinus, qu’ils donnent donc caution de ne point sortir de cette ville jusqu’à ce qu’Alexandrie ait un évêque! » Les magistrats décidèrent qu’ils donneraient caution, du moins par leur serment. Cet épisode du concile de Chalcédoine fait voir qu’il existait dans l’église orientale bien des organisations diverses malgré l’unité des canons disciplinaires, et cette diversité tenait à des traditions antérieures au christianisme ou du moins aux prescriptions uniformes des conciles. On y trouve aussi la confirmation de bien des faits de l’histoire, qui semblent à peine croyables, sur la tyrannie des patriarches d’Egypte, la soumission servile de leur clergé, la terreur qu’ils inspiraient aux populations, enfin sur ce régime sacerdotal que les chrétiens eux-mêmes qualifiaient de pharaonique, et dont en effet il fallait aller chercher l’origine dans le gouvernement des pharaons.


AMEDEE THIERRY.