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nous ravive avec la magie de son manteau vert, comme celle dont l’été rafraîchit nos fronts dans les soirs des chaudes journées avec la rieuse insulte de ses vents. On comprendra comment cette volupté toute physique peut se produire, si nous disons que le tour de force de l’artiste ingénieux qui a créé ces verrières a consisté en quelque sorte à n’employer que des couleurs pour peindre ces deux spectacles du monde surnaturel, le paradis, l’enfer. N’ayant recours que le moins possible à la figure humaine et à l’élément dramatique, il a exprimé le paradis au moyen de toutes les nuances et teintes de la couleur bleue, l’enfer au moyen de toutes les nuances et teintes de la couleur rouge, harmonieusement assorties et combinées. De cette musique de couleurs résulte la sensation que nous venons de décrire.

On reste longtemps à cette place, et, après qu’on l’a quittée, on y revient souvent pour jouir encore de ce bien-être ineffable de la vue. Volontiers on en oublierait toutes les belles choses que contient le vaste temple, si errer sous ses voûtes n’était pas un autre plaisir encore tout physique en quelque sorte. En effet cette église est si spacieuse, ou du moins si bien disposée pour donner une impression d’ampleur, qu’on s’y sent plus à l’aise que dans aucune autre cathédrale. Nulle part, la vue n’est gênée, et, quelque point de l’édifice que l’on occupe, l’œil en embrasse l’ensemble sans efforts. Aucune disposition architecturale n’échappe, on marche d’emblée à la chose qu’on désire voir; si nous ne craignions d’être trop profane, nous dirions volontiers que la cathédrale de Sens n’est pas seulement une belle église, mais qu’elle est aussi une des promenades les plus agréables, les mieux éclairées, les plus gaies. Pendant que je flâne avec délices à travers cette église, si propre, si bien tenue, si garnie de richesses, je suis amené à constater une fois de plus qu’il y a des rapports bien singuliers entre les lieux et les âmes qui les ont traversés ; cette église à physionomie si peu ascétique a vraiment je ne sais quelle ressemblance avec les caractères de quelques-uns de ses prélats les plus célèbres, et elle en a eu de terriblement mondains. De même qu’un parfum laisse encore son odeur longtemps après qu’il a disparu, ainsi on respire je ne sais quel arôme de la renaissance dans l’air de cette cathédrale. Là fut enterré ce savant cardinal Duperron, aussi fin connaisseur en littérature qu’habile controversiste, adversaire de Duplessis-Mornay, mais lecteur éclairé de Rabelais. Là fut enterré aussi ce chancelier-cardinal Duprat à qui l’église de l’ancienne France reprochait avec amertume d’avoir été trop complaisant pour Léon X, le papa par excellence des pompes de la renaissance. Leurs tombeaux ont été détruits par la révolution; de celui de Duperron, il ne