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sages de Rubens, à Florence, au palais Pitti, — les exigences de l’apostolat, qui les ont portés aux mêmes lieux. Eutrope fut martyrisé chez les Santones, Savinien chez les Senones. « C’est à cet endroit qu’il reçut le coup de hache, » me dit, avec le même sourd accent de ferveur dont elle m’aurait appris un crime de la récente commune, une brave paysanne qui quitte pieusement ses sabots pour me conduire à la crypte consacrée au saint. Puisque l’occasion se présente de mentionner saint Savinien, n’oublions pas une sculpture de la cathédrale exécutée au dernier siècle par un Alsacien du nom d’Hermann et représentant le martyre du saint. Quelques connaisseurs déclarent cette œuvre de toute médiocrité : je ne puis partager cet avis. Il y a en effet grand nombre de plus belles choses dans le monde; mais l’œuvre a ce mérite, qu’elle répond au but qu’elle se propose, remplit l’office qu’elle est chargée de remplir, et produit l’effet qu’elle veut produire, à savoir une émotion dramatique capable de parler aux cœurs ignorans et de leur faire comprendre le prix dont tant d’hommes vertueux ont payé le triomphe de la religion qu’ils professent. Le barbare qui est en train d’asséner le coup met à cet acte une vigueur furieuse assez saisissante, et le saint renversé qui voit la hache sur le point de tomber étend les bras par un geste instinctif bien naturel. Il y a du mouvement dans cette sculpture, et le mouvement est avant tout la qualité nécessaire à toute œuvre, de quelque nature qu’elle soit, qui cherche un but populaire.

Le grand homme de Sens, c’est Jean Cousin, que l’on peut appeler le créateur de la peinture française, et c’est de lui que sont plusieurs des vitraux de la cathédrale où nos souvenirs nous ont retenu si longtemps. On sait combien sont rares les tableaux de cet artiste, dont l’activité se porta sur tant de choses, que la peinture ne put obtenir qu’une portion assez réduite de son temps. Justement Sens contient une de ces œuvres si rares. C’est un tableau sur bois connu sous le nom d’Eve, première Pandore, propriété de Mme veuve Chauley, qui met à montrer son trésor autant de gracieux empressement qu’elle met à le conserver de respectable jalousie. Comme ce tableau a été vu par nombre d’artistes, d’amateurs et de personnages influens dans le monde des arts et de l’administration, dont je lis les noms sur le livre de visites de Mme Chauley, je me hasarde à demander si quelqu’un de nos nombreux gouvernemens n’a jamais fait de démarches auprès d’elle pour obtenir cette œuvre importante; mais cette dame me répond que ce tableau est la propriété de sa famille depuis qu’il est sorti de l’atelier de Jean Cousin, c’est-à-dire depuis plus de trois cents ans, et qu’elle ne consentirait, pour aucun prix et pour aucune considération, à s’en dessai-