Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui comprenaient clairement que Jehovah était un dieu « jaloux » qu’irritaient les hommages rendus à ses congénères, un véritable dieu national. Moins nombreux encore étaient ceux qui, partis du principe que Jehovah était le seul dieu adorable, étaient arrivés à la conviction qu’il était le seul Dieu existant. En pratique et tant qu’il ne s’agissait que de politique intérieure, ces deux derniers points de vue se confondaient; mais une grave divergence se manifesta sur le terrain de la politique étrangère. Les patriotes jehovistes, pleins de confiance dans l’invincible appui que Jehovah ne pouvait manquer d’accorder à un peuple qui faisait tant pour lui, avaient poussé leur pays et leur roi dans une voie fatalement désastreuse. Ils avaient osé se mesurer avec l’empire chaldéen ; Jérusalem n’avait pas craint de braver Babylone, et la défaite de l’armée nationale, la mort de Josias, la prise de Jérusalem, n’avaient pas suffi pour dissiper ces illusions tenaces. Trois fois Nebucadrezar dut lancer ses soldats contre l’opiniâtre cité, trois fois il arracha à leur patrie les familles les plus notables du pays juif. Quand le dernier convoi de bannis quitta les lieux aimés que la plupart d’entre eux ne devaient plus revoir, le sol était dévasté, le sang avait coulé par torrens, Jérusalem et son temple étaient en ruines, et dans la campagne déserte on n’entendait au loin qu’une voix plaintive faisant monter au ciel ses lamentations. C’était Jérémie qui pleurait sur sa pauvre patrie. Quelques-uns discernèrent des accens plus mystérieux encore qui semblaient sortir de terre, et pensèrent que c’était Rachel, la bien-aimée du patriarche, la vieille mère de la tribu de Juda, qui s’était réveillée dans sa tombe et pleurait ses enfans perdus, inconsolable de ce qu’ils n’étaient plus.

À cette touchante poésie correspondait la plus triste réalité. C’est une erreur traditionnelle de croire que toute la population fut déportée par ordre du vainqueur sur les bords de l’Euphrate. Un grand nombre, les plus pauvres, les artisans, les simples laboureurs, furent laissés sur le sol natal. Les uns, privés de tout par la guerre, s’adonnèrent au brigandage; les autres, qui se remirent à cultiver, furent en butte aux maraudeurs des pays voisins, vieux ennemis d’Israël. Le fanatisme patriotique n’était pas entièrement éteint. La preuve en est que Gédalia, partisan des Chaldéens, que le vainqueur en partant avait préposé à la garde de sa conquête, fut tué, lui et ses soldats, surpris par une émeute. Cela ne pouvait mener à rien; après cet accès de désespoir, la peur de Nebucadrezar chassa du pays ceux qui osaient encore prétendre à un semblant d’aristocratie, ils se réfugièrent en Égypte, et il ne resta en Judée qu’un troupeau de misérables accablés par la pauvreté et la terreur. Le roi de Babylone les laissa végéter sur leur glèbe; ce n’est pas de là que pouvait sortir le relèvement d’Israël.