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Fallait-il en dire autant de ceux que leur position sociale avait désignés à la politique du conquérant chaldéen comme formant l’élément vital du peuple vaincu, et qu’il avait déportés vers le centre de son empire? Leur nombre, difficile à préciser, doit avoir été considérable. Parmi eux se trouvaient des nobles, des prophètes, des prêtres. Ils furent partagés en plusieurs groupes; un très petit nombre s’établit à Babylone même, tous ne reçurent pas des terres à cultiver, beaucoup durent louer leurs bras pour des travaux mercenaires, plusieurs exercèrent d’humbles métiers, quelques-uns enfin firent le petit commerce, et il ne serait pas téméraire de faire dater de ce moment la première éclosion de cet esprit de négoce qui depuis caractérisa si fortement les descendans de Juda.

Cependant, lorsque le supplice des principaux meneurs de la révolte eut apaisé la colère royale, on ne peut pas dire que l’autorité chaldéenne ait opprimé outre mesure ces vaincus sans patrie. On les laissa libres de s’organiser entre eux comme ils l’entendaient. Les chefs de famille conservèrent leur autorité, peut-être aussi leur donna-t-on dès les premiers temps un patron indigène, le resch galutha (prince des exilés), qui servit d’intermédiaire entre eux et la cour babylonienne. Ce qui est certain, c’est que, tout en devant subir les vexations de détail et les inévitables misères attachées à leur position de bannis au milieu d’un peuple ennemi, ils purent se maintenir et même améliorer peu à peu leur position matérielle. C’est de là qu’il faut partir pour comprendre comment ils parvinrent à s’élever à une hauteur religieuse auparavant inconnue.

Commençons toutefois par rayer de la liste des réalités historiques la vieille idée d’après laquelle les Juifs exilés seraient venus sur-le-champ à résipiscence, et auraient abjuré depuis lors toute connivence avec l’idolâtrie et le polythéisme; parmi ces familles aristocratiques où le jehovisme était prédominant, on peut signaler des faits tout contraires. Il y eut des actes nombreux de soumission aux divinités du peuple vainqueur, actes dictés par l’intérêt ou la peur et aussi par la superstition; les odieux sacrifices à Moloch ne cessèrent même pas entièrement. Il y a plus, nombre de jehovistes sentirent leur confiance dans le dieu national s’affaiblir sous les coups du malheur. La nation, comme le disaient les prophètes, pouvait bien mériter un châtiment, mais la ruine, mais la dispersion du peuple, la destruction du temple que Jehovah aurait dû couvrir de ses ailes, n’était-ce pas un démenti sanglant infligé à leur foi par la brutalité des événemens? Si ce point de vue du découragement eût prévalu et persisté, c’en était fait du peuple juif; il y avait par bonheur dans l’énergie de cette foi chez quelques-uns des déportés de quoi vaincre ces défaillances bien naturelles, et il se trouva un homme pour relever les cœurs avec les croyances.