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après, on put enfin inaugurer le nouveau sanctuaire. Cependant les temps annoncés par les prophètes n’arrivaient toujours pas. On restait une humble peuplade, groupée autour d’un temple, inconnue du monde entier et soumise à un joug étranger parfois bien lourd. Une nouvelle période de langueur, d’impuissance, de tiédeur, suivit la consécration du nouveau temple, et elle dura soixante ans, toute une génération. Elle ne prit fin qu’en 458, lors de l’arrivée d’Esdras, que suivait une nouvelle colonne de Juifs nés à l’étranger, pris à leur tour aussi du désir de venir se fixer en terre-sainte. Pendant ces soixante années, nous ne trouvons qu’une chose à signaler, mais elle prime tout le reste : c’est la constitution de la théocratie juive.

Dans les anciens temps, sous les juges par exemple, les Israélites avaient formé parfois une sorte de confédération dont le directeur principal était prêtre. Cependant c’est bien moins son caractère sacerdotal que sa réputation de guerrier qui valait au « juge » une certaine hégémonie sur les tribus alliées. Au fond, il était grand-prêtre parce qu’il était grand chef, et non pas l’inverse. Quand la royauté héréditaire eut succédé à ce mode primitif de gouvernement, les rois, Salomon entre autres, s’y prirent de façon à n’avoir rien à craindre des prêtres, qui furent presque toujours réduits à l’état d’instrumens de la volonté royale. Les prophètes, persécutés ou favorisés, furent une tout autre puissance. Après la destruction du royaume, les choses changèrent naturellement de face. Quand Zorobabel et Josué, le fils de l’ancien grand-prêtre, revinrent en Judée, c’est le second qui revêtit les fonctions sacerdotales. Zorobabel était, il est vrai, un descendant de David; mais, précisément pour cela, l’autorité persane se souciait peu de l’investir d’un grand pouvoir politique. D’ailleurs, Israélite ou étranger, tant que la Judée restait soumise à l’empire perse, le gouverneur du pays, quel que fût son titre ou son nom, ne pouvait être qu’un lieutenant du roi de Perse, un représentant de la servitude et non de la liberté nationale. Au contraire le grand-prêtre de Jérusalem était, du fait même de sa position, le continuateur du passé, le représentant de l’unité, de la foi, de la nationalité; il était à la tête d’un clergé relativement nombreux, intéressé à le soutenir. On peut voir déjà dans Zacharie que le grand-prêtre personnifie le peuple tout entier, et dans le cercle étroit, mais important, où son action pouvait s’exercer, son autorité n’avait rien à démêler avec le pouvoir central.

Cette pierre de fondation du nouveau judaïsme fut donc posée pendant les soixante ans de profonde accalmie dont nous venons de parler. Il s’en fallut de peu qu’elle ne restât une pierre d’attente perpétuelle. La réalité était si mesquine en comparaison des espérances qu’on s’était forgées, que l’on perdait peu à peu toute fer-