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bus sauvages, est l’accomplissement d’une loi de perpétuelle transformation ; la liberté morale se fait à elle-même ses destinées. A certains momens de cette vie collective, la vie nationale peut devenir plus intense, et le mouvement, qui s’accélère, peut s’accuser par des traits plus sensibles. C’est à l’historien de les saisir, mais ce n’est jamais une tâche facile d’apercevoir nettement les phases simultanées et diverses, de désigner celles qui viennent de s’achever, de distinguer les linéamens de l’avenir. Tacite l’a fait cependant avec une sagacité de vue qui étonne : il a surpris les Germains dans leur devenir, comme parlent les Allemands modernes, c’est-à-dire dans leur transformation, à la date d’un essor intense et décisif; mais ses indications, en même temps que précises, sont brèves et sommaires : voyant tout, il résume tout, c’est le mot de Montesquieu. Il y a donc lieu de reprendre ses indications pour développer ses vues. Il faut montrer avec lui et à sa suite que la société germanique du Ier siècle sortait de la vie en quelque mesure nomade encore pour entrer, dès qu’elle le pourrait, dans la vie agricole, — qu’elle commençait de substituer à l’âpreté des coutumes primitives l’autorité de mœurs déjà moins rades, — au droit de guerre privée et à la tradition des vengeances solidaires la proclamation des trêves sacrées et le wehrgeld, — au pouvoir exclusif et étroit des pères de famille les premiers essais d’institutions fécondes, — à la confusion d’une barbarie tumultueuse l’ébauche de la loi générale, de l’état.

Une telle étude était particulièrement difficile pour un Romain, Il fallait qu’il se dépouillât du mépris universel de Rome pour tout ce qui faisait partie du monde barbare. L’antiquité classique n’avait guère connu sous ce nom que des peuples d’une civilisation antérieurs et vieillie, qu’elle affectait de dédaigner après s’être fortifiée et comme nourrie de leur substance. L’Assyrie, la Perse, l’Egypte, avaient été ses premières institutrices pour devenir ensuite ses simples vassales; le monde celtique terminait sa période de grandeur lors de la conquête romaine : à toutes ces nations déchues, l’antique Rome avait également appliqué la dénomination de barbares et prodigué son dédain. Il ne devait pas en être de même pour le groupe des tribus germaniques. L’âge des peuples se calcule non pas sur l’étendue de leur passé, mais sur le temps réservé encore à leur énergie persistante ou croissante. À ce compte, le groupe considérable des tribus scythiques était seul resté doué de jeunesse, s’il est vrai que, grâce à une filiation pour nous très obscure, ce soient elles qui aient transmis aux Germains leurs anciens souvenirs et les germes d’institutions qu’elles n’avaient pas su développer elles-mêmes. Les Germains proprement dits paraîtraient, suivant une