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pure conjecture de M. Zeuss[1], dès le Ve siècle avant notre ère. Ils se montrent plus sûrement dans un fragment de Pythéas, qui nomme les Teutons, au temps d’Alexandre, puis, environ deux cents ans avant Jésus-Christ, dans un récit de Polybe, qui compte parmi les soldats de Persée, roi de Macédoine, des auxiliaires de la tribu germanique des Bastarnes. A vrai dire, l’invasion des Teutons et des Cimbres, puis celle d’Arioviste, roi des Suèves, qui fut repoussée par César, les révélèrent seules complètement, et ouvrirent la lutte que pendant plusieurs siècles Rome était appelée à soutenir. Le nom de barbares allait prendre désormais un nouveau sens et désigner des peuples jeunes en effet, c’est-à-dire réservés à un rôle important dans l’avenir. Hérodote avait étudié sans trop de mépris les peuplades scythiques au nom de son active et intelligente curiosité ; Tacite devait observer les Germains avec la seule préoccupation de ses inquiétudes patriotiques.


I.

Tout d’abord Tacite a évité de commettre une erreur dans laquelle sont tombés des historiens du XVIIIe siècle. Les Germains de son temps étaient des barbares, mais non pas des sauvages comme ceux de l’Océanie ou de l’Amérique. Si l’on ouvre, parmi les vieux livres composés en Allemagne sur ces époques primitives, la Germania antiqua de Cluvier par exemple, qui parut en 1616, on voit ce respectable in-folio orné de gravures qui ne donneraient pas, si on les tenait pour exactes, une haute idée du degré de civilisation où étaient arrivés les compatriotes d’Arminius et de Velléda. Le guerrier teuton, aux longues moustaches pendantes, à la chevelure relevée et nouée au sommet de la tête, une peau de bête jetée sur ses épaules pour unique vêtement, tient de la main gauche une tête sanglante, et de la droite, au bout de sa lance, une autre tête coupée. Une héroïne, près de lui, à peine plus vêtue, montre un pareil trophée. Les représentations de mœurs domestiques offrent l’image d’un informe et grossier dénûment, avec l’entière absence de tout commencement de culture. Le patriotisme tudesque aimait à placer de la sorte en vive lumière le contraste entre la puissance guerrière dont l’antique Germanie avait fait preuve et une absolue pauvreté, toute primitive; mais c’était charger les couleurs à plaisir. Les Germains du Ier siècle pratiquaient encore, il est vrai, les sacrifices humains, qu’Adam de Brème d’ailleurs nous montre subsis-

  1. Die Deutschen und die Nachbarstämme (les Peuples allemands et les branches voisines), Munich 1837.