On aurait tort d’invoquer ici les argumens qu’on a si souvent fait valoir contre les théories communistes, et de prétendre, au nom de ces argumens, que l’état social désigné par César et Tacite devait être chose impraticable. L’histoire offre beaucoup d’exemples du contraire. Quand Hésiode et Virgile célèbrent le règne de Saturne et l’âge d’or, où l’on ne connaissait pas la division des champs entre plusieurs maîtres, quand Horace affirme que les Gètes et les Scythes s’abstenaient aussi de partager les terres, et que nul d’entre eux ne consentait à s’occuper de culture deux années de suite, quoi qu’il en soit de l’origine, germanique ou non, de ces peuples, il est permis de soupçonner comme premiers motifs à ces assurances des poètes les souvenirs traditionnels de quelque réalité historique. L’année jubilaire des Hébreux rendait aux anciens propriétaires ou à leurs héritiers les terres aliénées pour un temps, afin d’empêcher l’accumulation de la fortune immobilière en un petit nombre de mains : c’était pratiquer en quelque mesure le système de la communauté des terres. Diodore de Sicile rapporte, au sujet d’un peuple espagnol, les Vaccéens, qu’ils cultivaient en commun : les fruits étaient répartis également; quiconque en détournait quelque portion était puni de mort. Strabon nous dit que les Dalmates partageaient à nouveau leurs terres tous les huit ans. De notre temps même, certaines parties de l’Inde ne connaissent pas la propriété privée. En plusieurs lieux du Mexique, la commune est propriétaire de tout le territoire, à l’exception de la maison d’habitation et du jardin contigu, que chaque famille se transmet héréditairement; chaque village cultive en commun une portion de la terre publique. Dans un certain nombre de communes de Russie qui ont gardé leurs anciens privilèges, les magistrats assignent à chaque famille, pour une ou plusieurs années, un lot à cultiver; on peut consulter à ce sujet l’ouvrage bien connu de M. Haxthausen. La Serbie et la Croatie ont de pareilles traditions. Enfin, sans aller chercher si loin des exemples, dans le pays de Saarlouis, voisin de l’ancienne frontière de France, toute la terre cultivable est encore aujourd’hui possédée en commun ; on en fait périodiquement le partage par la voie du sort. Une foule de termes subsistant dans la langue usuelle démontreraient l’antiquité reculée de pareilles coutumes en beaucoup de parties de l’Allemagne.
Ainsi l’histoire du passé et l’étude même du présent s’accordent pour démontrer que le système de la communauté des terres est, dans certaines conditions, parfaitement praticable. Montesquieu est un des premiers publicistes modernes qui, précisément à propos des Germains, ne s’y soient pas trompés. Ce système doit d’autant moins être confondu avec le communisme qu’il n’exclut pas, bien