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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/172

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entendu, la propriété privée mobilière. Si les Germains de César et de Tacite n’étaient pas admis à posséder le sol, ils étaient du moins propriétaires de leur bétail (c’était leur principale richesse), ou bien de leurs esclaves, pour la plupart prisonniers de guerre. Quant aux habitations, composées de pièces de bois simplement ajustées, avec quelque maçonnerie légère, elles pouvaient s’enlever presque comme des tentes. Pline le Naturaliste rapporte qu’après le massacre des Cimbres, leurs maisons, portées sur des chariots à l’arrière de l’armée, furent longtemps encore défendues par les chiens qu’ils avaient amenés. Les formules judiciaires du moyen âge disent que les maisons furent, en certains pays, réputées longtemps propriété mobilière et non pas foncière. Si Tacite a dit, en parlant des esclaves de Germanie, qu’ils vivaient tranquilles sur un lot de terre, à la condition de payer au maître une redevance, cela peut signifier que, dans la distribution annuelle, des parcelles supplémentaires étaient assignées à toute personne possédant des esclaves, lesquels devaient cultiver, comme le maître.

D’ailleurs Tacite mentionne, au sujet de la répartition du sol, deux traits qui paraissent différer du récit de César. Il donne à entendre que les lots étaient distribués non pas seulement à des groupes, à des gentes, comme le veut l’auteur des Commentaires, mais plutôt à des particuliers, à des pères de famille. Il parle ensuite bien superficiellement, il est vrai, et comme en passant, de petits enclos, appendices de l’habitation, possessions d’abord aussi éphémères sans doute que l’habitation elle-même, suam quisque domum spatio circumdat. Or Montesquieu croit trouver dans ces enclos cette sorte de patrimoine particulier, appartenant aux mâles, qui était destiné à devenir la propriété salique. Si cette interprétation est juste, si nous rencontrons ici un embryon de propriété foncière privée, cela ne change rien cependant à ce que nous avons conclu du texte de César. Cela signifie seulement que les indications précieuses de Tacite constatent un progrès inaugurant une nouvelle époque. Combien de changemens s’étaient accomplis pendant le siècle qui sépare les deux écrivains ! Les Germains n’avaient plus à craindre les Gaulois, définitivement domptés par la conquête romaine. En fortifiant la double frontière du Rhin et du Danube, Rome avait amené les tribus naguère presque errantes des Germains à se fixer en une certaine mesure, à reconnaître des frontières, à faire trêve parfois aux guerres incessantes pour s’habituer à quelque culture assidue. On s’expliquerait que de tels changemens eussent hâté chez eux l’éclosion de la propriété foncière; nous aurions ici un important exemple de cette transformation qui s’accomplissait alors chez les Germains, et que Tacite, disions--