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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/182

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Cette observation nous met à l’aise pour expliquer certains textes de César et de Tacite. Quand ils nous disent que tel peuple de la Germanie a cent cantons, centum pagos hahent, nous pouvons sans doute l’interpréter en ce sens que ce peuple connaît et pratique la division traditionnelle par hundreds. Nous serions tentés même de lire centum pagos en un seul mot, composé à la manière de tant d’autres mots, décemvirs, centumvirs, etc.; mais comment interpréter les données si différentes des deux auteurs sur le nombre des hommes armés que fournissait annuellement chacune de ces divisions? César, bien qu’il ne soit pas là réellement clair, paraît demeurer le plus fidèle aux anciens chiffres quand il avance que chacun des cent cantons donnait par année mille combattans ; un poète du IXe siècle décrit de même, sans doute en se rappelant ces partages traditionnels, les Souabes s’avançant au passage du Rhin par troupes de mille que composent les hommes des centaines, comme s’il avait dit par chiliades sorties des hundreds.

Quant au groupe supérieur, que les historiens romains appellent civitas, c’est la tribu. Il est clair que cette désignation est appliquée très diversement. Pour César par exemple, la population celtique des Helvètes, considérée dans son ensemble, et la réunion des peuples belges tout aussi bien que le pays de Beauvais ou celui des Nerviens, aujourd’hui le Hainaut, forment autant de civitates. De même l’auteur de la Germanie désigne également la civitas des Suèves ou des Lombards, peuples considérables, et celle des Ubiens ou des Chérusques. Il nomme celle des Cimbres, sans distinguer nettement, il est vrai, entre cette partie de la nation qui avait jadis envahi, de concert avec les Teutons, le territoire de la république romaine, et cette autre partie qui formait encore à la fin du Ier siècle de l’ère chrétienne un groupe chétif sur les bords de la Baltique. Il s’agit donc ici de peuples particuliers ou de tribus. Le lien commun n’est plus la parenté seule : c’est le rapport d’origine, c’est la communauté de souvenirs mythiques, de séjours primitifs, de migrations ultérieures. La tribu forme un tout indépendant; jusque-là seulement les Germains ont su réaliser l’idée de l’état. Quelquefois on voit plusieurs de ces tribus réunies sous les ordres d’un seul chef pour une expédition militaire; mais bien rarement peut-on signaler entre elles les traces d’une association durable. L’unité nationale ne subsiste que par la langue, la religion et les traditions communes.

Il n’y a nulle contradiction à montrer la permanence de ces différens groupes chez des barbares dont nous avons décrit l’état social comme à peine fixé, entre les limites indécises de l’immense Germanie, au-delà desquelles un mouvement non interrompu continuait de les entraîner comme à leur insu. En effet ces divisions, loin de tenir