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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/183

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au sol, étaient l’expression d’une solidarité issue, nous l’avons dit, de la parenté et du voisinage temporaire. Nées sans nul doute même avant l’établissement des Germains entre le Rhin et le Danube, c’étaient des cadres flexibles et mobiles se déplaçant avec le peuple ou la tribu, se prêtant aux vicissitudes d’accroissement ou de perte, se modifiant en une certaine mesure selon les migrations ou les dissensions intestines. Aussi lisons-nous dans César et ailleurs des expressions telles que celles-ci, que les cent cantons des Suèves sont en marche et s’apprêtent à passer le Rhin. Précisément c’est peut-être quand ces barbares sont en marche qu’apparaissent le mieux, dans leur relief et leur utilité pratique, ces groupemens héréditaires. Il en a été ainsi de tous les peuples, particulièrement dans l’antiquité : ils n’ont fait qu’appliquer, au lendemain de leurs établissemens nouveaux, des coutumes immémoriales.

S’ils n’ont pas su s’élever aux conditions de l’unité politique, les Germains n’ont pas manqué du moins d’organiser par certaines institutions régulières le gouvernement de chacun des groupes que nous venons de nommer. Les témoignages sont ici encore incomplets et peu clairs; mais, si l’on invoque, pour les interpréter, les analogies que présentent les constitutions allemandes du moyen âge, on distingue certains traits communs à tous les peuples. On voit par exemple, au centre de chacune de ces divisions de l’ancienne société germanique, des chefs élus et une assemblée des hommes libres délibérant ensemble et décidant de leurs intérêts. Une phrase obscure de Tacite sur les magistrats qui rendaient la justice, dit-il, avec l’assistance des membres du hundred, désigne sans nul doute l’assemblée particulière à cette circonscription : un grand nombre d’indices épars étendent et confirment cette conjecture; mais c’est surtout au chef-lieu de la tribu que se trouvait une assemblée supérieure chargée des affaires générales, de la guerre, de la paix, des alliances. Tacite paraît indiquer deux de ces assemblées par an : l’une toute préparatoire, à laquelle n’assiste pas le gros des hommes libres, l’autre plus autorisée et plus solennelle, où se rendent et votent tous les citoyens, car il n’y a nulle trace de délégation ni de gouvernement représentatif. C’est la même institution qui se retrouvera, profondément transformée, chez les Francs du temps de Charlemagne. En tout cas, l’importance de cette réunion générale des hommes libres est extrême : c’est en elle que la constitution de l’ancienne Germanie concentre réellement toute la vie politique et sociale.

Tacite nous a donné de la grande assemblée qui représente la tribu une vive peinture, à laquelle, en suivant les destinées de la même institution chez les divers peuples germaniques pendant le