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ces peuples par le temps où ils se trouvaient encore réunis. Les sagas islandaises surtout nous ont conservé un tableau complet de l’althing, car cette institution est restée pendant plusieurs siècles la clé de voûte de l’état républicain fondé en Islande par les émigrans de Norvège qui, fuyant l’invasion du christianisme, conservaient avec un soin jaloux leurs antiques coutumes, conformes au germanisme primitif. Qu’on joigne à leurs récits ce que nous révèlent les lois barbares, les plus anciennes chroniques, les découvertes de l’archéologie, et l’on peut restituer une page importante de la plus ancienne civilisation germanique.

Les assemblées se tenaient près des lieux sanctifiés, dans le voisinage soit d’une forêt consacrée, soit d’un temple célèbre, car l’acte politique qu’on venait y accomplir, se confondant presque avec un acte religieux, ne se passait ni des sacrifices ni des prêtres. La scène était particulièrement grandiose en Islande. L’althing, nom qui désigne encore aujourd’hui dans cette île la représentation nationale, tenait ses séances dans la plaine de Thingvalla, sur un bloc de lave isolé, portant le nom de Montagne de la loi. Près de là étaient un autel, un lac où l’on puisait l’eau pour laver le sang des victimes, un roc d’où l’on précipitait certains criminels. Les sacrifices étaient suivis de banquets solennels, et peut-être est-ce de pareils repas que Tacite veut parler quand il dit que les Germains discutaient à table des questions qu’ils résolvaient seulement le lendemain. En même temps qu’ils inauguraient ainsi l’assemblée, les prêtres proclamaient la trêve sainte, c’est-à-dire une paix particulière qui devait, à partir de ce jour et pour toute la durée de la diète, suspendre les guerres privées et protéger tout le pays. Toute infraction à cette paix était une offense envers les dieux, qu’il appartenait aux prêtres de châtier. La présidence et la conduite de l’assemblée variaient suivant que les tribus reconnaissaient un chef suprême ou seulement divers magistrats. C’était un droit partout revendiqué de venir en armes au thing. Tacite a exprimé dans ses Histoires le sentiment d’humiliation des Tenctères, obligés de tenir leur assemblée sans boucliers ni glaives, et sous les regards d’un délégué romain. Il dit qu’on marquait son approbation par le bruit des armes entre-choquées. C’est là un trait si authentique que nous le retrouvons à travers toute la première moitié du moyen âge. La sanction donnée de la sorte, c’est-à-dire par le vapnatak, a, dans les lois islandaises, un caractère plus respecté que les autres modes d’acceptation, et celui qui la viole est puni d’une double amende. L’usage en est si familier aux Anglo-Saxons que le mot de wapentake, dans les lois d’Edouard le Confesseur, désigne un certain district autour du lieu où s’accomplit cette sorte de démonstra-