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et vaut la peine d’être examinée de plus près. L’empire a toujours repoussé l’abrogation des mesures restrictives du droit d’association ; mais en refusant des modifications radicales, il a cependant fini par admettre des tempéramens considérables à la loi. Plusieurs fois, on a déclaré qu’on tolérerait la fondation et l’existence de groupes professionnels institués soit par les patrons, soit par les ouvriers[1]; les syndicats auraient la liberté de s’occuper des questions touchant aux intérêts économiques en s’abstenant de toute immixtion dans la politique. Forts de ces déclarations, les patrons et les ouvriers d’un grand nombre d’industries ont organisé des unions syndicales. Les nouvelles institutions ont déjà pris un grand essor. Les chambres de patrons se sont longtemps enfermées dans le cercle qui leur était tracé, et ce n’est que récemment, du moins à Paris, qu’on les a vues commencer à exercer une certaine influence politique. il n’en a pas été de même de beaucoup de chambres ouvrières. La recommandation capitale de l’empire s’est trouvée la plus vite négligée, et en vérité le pouvoir devait bien se douter que ses précautions étaient illusoires. On sait trop comment quelques-unes de ces sociétés se sont transformées en centres d’agitation révolutionnaire. Les meneurs du parti démagogique ont à un certain moment pris sur elles une influence déplorable. On a vu ces groupes se mettre aveuglément à la suite de l’état-major de l’Internationale, se fédérer entre eux, accepter des consignes et des chefs, et fournir à l’armée du désordre des soldats déjà tout enrégimentés.

Quel parti prendra-t-on à l’égard des associations syndicales? Dans quelles limites devront-elles être contenues? Quelle sera l’interprétation ou la nouvelle rédaction donnée à l’article 291 et à la loi de 1834? Ces questions sont graves et touchent de très près à celles des coalitions. En effet les deux libertés sont connexes, et l’une entraîne l’autre; l’exemple des pays où le droit de coalition se pratique depuis un certain temps le prouve bien. La coalition n’est qu’une forme temporaire donnée à l’union de certains intérêts contre les intérêts opposés. Quand les intérêts sont permanens, il est naturel que cette ligue devienne elle-même permanente. En Angleterre, les coalitions n’existent plus pour ainsi dire en dehors des Irades-unions ; l’institution s’est régularisée en se perpétuant. Une caisse normalement administrée, un état-major choisi suivant certains principes, des plans de campagne soigneusement étudiés, des ressources habilement accumulées et ménagées, telles sont aujourd’hui les conditions communes de toutes les ligues industrielles chez nos voisins; patrons et ouvriers ont renoncé aux anciennes luttes de détail, aux

  1. Voyez entre autres la déclaration de M. Forcade de La Roquette, ministre des travaux publics, dans son rapport du 30 mars 1868.