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tion, c’est la résoudre. Chercher à reconstituer une aristocratie privilégiée dans un pays où depuis cent ans la révolution a balayé successivement toutes les institutions du passé, est une folie qu’il serait imprudent de tenter. Reste le césarisme socialiste vers lequel nous pousse une portion du parti radical. Chaque fois que les classes conservatrices se laissent entraîner par une fausse notion de leur intérêt à des mesures prohibitives, c’est au socialisme autoritaire qu’elles fournissent des armes. Leurs argumens et leurs exemples seront un jour retournés contre elles, et elles créent un précédent bien dangereux. Telle est la pensée que le parti de l’ordre devrait avoir toujours présente à l’esprit. Sachons affronter résolument les premiers périls de la liberté, si nous ne voulons pas être étouffés par le despotisme démagogique, qui est le pire de tous. Développons l’énergie individuelle par la pratique de tous les droits qui peuvent s’accorder avec l’ordre général, formons des caractères capables de résister aux entraînemens désastreux. L’histoire de ces dernières années révèle dans notre nation un certain manque de virilité, par suite duquel toutes les folies ont été possibles : l’Internationale et la commune se sont appuyées sur cette faiblesse déplorable, qui a déjà plusieurs fois courbé la France sous de funestes tyrannies. Un pays ne vaut que par la fermeté de ses classes moyennes, et l’énervement de ces dernières est mille fois plus périlleux que les agitations passagères de la liberté. Celle-ci fortifie les mœurs, donne aux intérêts et aux hommes leur véritable prix, crée enfin un peuple qui sait ce qu’il est, ce qu’il veut et où il va. Au contraire, dans une nation désagrégée par l’intervention constante du pouvoir suprême qui empêche toute union, toute association partielle, la sécurité factice dont le parti conservateur jouit pendant quelque temps lui désapprend à se défendre lui-même, et le désarme pour le jour où un gouvernement révolutionnaire, au lieu de le protéger, veut l’opprimer. Les dictatures démagogiques trouvent d’autant plus de facilité à s’établir que les centres de résistance ont disparu; habituées à subir des lois injustes, les classes laborieuses n’ont qu’une pensée : substituer la tyrannie populaire à ce qu’elles appellent le despotisme de la bourgeoisie, et, pour atteindre ce but, elles se groupent autour du premier chef venu. On ne songe plus, les uns qu’à fomenter, les autres qu’à réprimer des agitations violentes, et le désir ou la crainte des révolutions empêche des deux côtés tout essai de réforme sérieuse.


EUGENE D’EICHTHAL