Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




29 février 1872.

Voici quelques jours, quelques semaines déjà, que nous vivons dans les nuages, dans les fictions, les chuchotemens, les sous-entendus et les artifices. On joue avec les mirages et les fantômes, peut-être aussi avec les tempêtes, qu'on redoute et qu'on provoque. On fait de la politique d'imagination et d'illusion. Nous demandons très humblement qu'on revienne à la réalité, qu'on descende des nuages, qu'on reprenne pied sur cette modeste terre, où tant d' œuvres nécessaires, pratiques, impérieuses, nous attendent encore.

Franchement, on oublie un peu trop de tous les côtés que ce n'est pas le moment de se livrer aux chimères, aux compétitions passionnées ou subtiles de l'esprit de parti, que les misères sans nombre dont notre pays est accablé ne sont pas de celles qui se guérissent avec des combinaisons de fantaisie, avec des lettres et des manifestes mystérieux, avec des pèlerinages à Anvers, avec des disputes éternelles sur la monarchie et la république, sur le provisoire et le définitif, avec des conciliabules et des coups de tactique. Le plus grand danger n'est pas toujours de se trouver en face de réalités même redoutables quand on garde une certaine netteté d'esprit et une certaine précision de volonté, c'est de se laisser entraîner dans ces régions obscures, confuses, où la raison s'émousse, où le sentiment des situations s'altère, où l'on finit par aboutir à l'impuissance sans le vouloir, sans y songer. C'est ce qui arrive depuis quelques jours avec cette politique de combinaisons mal calculées, d'agitation stérile, qui manque évidemment son effet, qui ne peut que tourner contre le but que se proposent ceux qui se livrent à ces périlleux passe-temps. On veut faire la monarchie, on ne la fait pas, on la compromet plutôt d'avance, et la république ne s'en trouve pas mieux. Sous prétexte de fonder un régime définitif, qu'on ne fonde pas, qu'on ne peut arriver à saisir, on ruine le provisoire qui nous abrite. On ne prépare pas plus l'avenir qu'on n'affermit le présent, on flotte entre le possible dont on se détourne et l'impossible qui se dérobe sans cesse. À ce jeu redoutable, les forces s'usent, la situation s'amoin-