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près l’opinion du capitaine Strover, il ne serait pas trop difficile de faire reprendre aux caravanes chinoises la route de Bhamo, et de ressusciter l’ancienne splendeur de cet entrepôt commercial, qui n’est séparé que par six jours de route de Longchankai, le premier marché du Yunan. La soie, le thé, les fourrures, viendraient de nouveau s’échanger à Bhamo contre le coton et les métaux de la Birmanie, Pour arriver à ce résultat, disait l’agent, il suffirait de réconcilier les Panthays mahométans, qui habitent le Yunan, avec leur suzerain, l’empereur de Chine, avec lequel ils sont en guerre depuis dix-huit ans. C’est cette insurrection musulmane qui a ruiné le commerce du royaume d’Ava.

Un autre agent anglais, le major Sladen, était récemment parti de Bhamo pour sonder le terrain et pour essayer de nouer des relations avec les Panthays. Cette expédition avait éveillé la défiance du roi d’Ava, qui fît son possible sous main pour l’empêcher d’aboutir. Le rapport du major Sladen n’a pas été publié, parce que le gouvernement désirait rester ostensiblement sur un pied de bonne amitié avec le souverain birman; mais l’un de ses compagnons, M. Cooper, a donné au mois d’août dernier un récit fort curieux de ce voyage. M. Cooper affirme que les victoires que les Chinois prétendent avoir remportées sur les Panthays sont de pure invention, que ces derniers leur sont très supérieurs en énergie et en intelligence, enfin que le gouverneur impérial de Yunan-fou a reconnu solennellement le chef des Panthays comme souverain du Yunan occidental. Les Panthays ne demandent pas mieux que de se mettre en rapports suivis avec les Anglais; ils font déjà un commerce actif avec la Chine, et ils mériteraient d’être soutenus dans leurs efforts pour fonder un état indépendant et prospère.

On voit que l’Angleterre multiplie ses tentatives pour faire dériver vers ses possessions le grand courant commercial créé par les échanges de l’Europe avec le Céleste-Empire. Nous avions un instant caressé l’espoir de donner à ce vaste commerce pour principale artère le Mékong, et Saïgon pour entrepôt. M. Louis de Carné a raconté ici même l’expédition qui, de 1866 à 1868, a exploré les vallées supérieures de l’Indo-Chine et a pu pénétrer jusque sur le sol de l’empire chinois[1]. Malheureusement le Mékong a été trouvé barré par des rapides infranchissables; il a fallu renoncer à la perspective de l’utiliser pour la navigation à vapeur au-delà de certaines limites. Depuis que les Anglais ont conçu la crainte de nous voir sur leurs talons dans cette partie de l’Asie, ils redoublent d’ardeur pour s’ouvrir le passage des Indes à la Chine. C’est là probablement le but caché de l’expédition entreprise depuis le mois de décembre dernier contre les Louchais, qui habitent la contrée montagneuse de Tipperah, entre le Bengale et la Birmanie.

Sous prétexte de délivrer une cinquantaine de prisonniers, les géné-

  1. Voyage en Indo-Chine, par L. de Carné; Paris 1872, Dentu.