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sixième ; édition; il en parut quatorze en trois ans. Qui ne connaît en Allemagne cette épopée romantique et dévote? Des chevaliers poupins qui se signent et se croisent, des troubadours, des guitares, d’éternelles sonneries de cloches, des fleurs et des ruisseaux à foison, une dépense inouïe de clairs de lune, des gazouillemens d’oiseaux dans tous les coins, un charmant petit moyen âge de poche tout pimpant et endimanché, une dévotion doucereuse et mignarde, une croix enguirlandée de roses, sur laquelle se becquettent des colombes qui ont fait le pèlerinage de Paphos, ajoutez une subtile odeur de cierges et de musc qui pénètre, imprègne tout, tel est ce poème, qui offre un attrait de curiosité et presque de plaisir à quiconque aime le joli ou ne craint pas trop le musc. On y trouve de vrais chefs-d’œuvre de descriptions coquettes et précieuses dignes du cavalier Marin.


« Chaque feuille dort encore dans la forêt, chaque tronc et chaque pierre, les oiseaux dans le bocage, les fleurs près du puits et à l’orée du bois. Cependant, au bruit des pas d’Amaranthe, qui traverse la lisière, le prunellier s’éveille en sursaut de son rêve. Comme il secoue son dernier somme de sa tête emperlée de rosée, une de ses baies vient à tomber dans le nid des merles. Près de là, remué par le vent, s’éveille le jeune peuple folâtre des aulnes; à peine ont-ils ouvert leurs petits yeux verdâtres, ils s’empressent malgré l’heure matinale de taquiner le vieux sapin, et rient sous cape de le voir dodeliner sa tête endormie. Ils le tirent par le pan de son habit. Il leur jette un regard fâché, et, encore à moitié engourdi, il gronde et murmure; eux, le rire aux lèvres, le tiennent enlacé dans leurs branches. Comment faire tête à cette jeunesse? Il est bien forcé de se réveiller enfin. Pendant ce temps, le merle s’est remis de sa panique, et du milieu de ses ronces la grive, sa voisine, l’a entendu. Elle crie un gracieux bonjour à l’alouette huppée qui gîte dans le gazon. Aussitôt celle-ci prend son essor; il faut qu’elle aille saluer l’étoile du matin. Troublé par le battement de son aile, le lapereau met le nez hors de son chou et s’élance d’un pied agile. Le pic fringant becquette le pin, l’écureuil dresse l’oreille et dévale lestement de son nid haut perché pour laver ses petits yeux dans la rosée. Enfin le coucou a jeté son cri; il est bien temps de s’éveiller. Chaque arbre le dit à son voisin; on voyage de nid en nid, et il se fait entre frères et sœurs un échange empressé de saluts. Alors du buisson épineux et du sein de la feuillée partent et se croisent mille doux appels. Cependant monte du fond de la vallée, comme le son lointain du cor des Alpes, le murmure des cloches qui annoncent le dimanche. »


Voilà des grâces qui abondent dans cette mystique épopée. —