Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
UN MINISTRE
DU ROI PHILIPPE LE BEL

GUILLAUME DE NOGARET
PREMIÈRE PARTIE.
L’ATTENTAT D’ANAGNI.

Le règne de Philippe le Bel est peut-être le plus extraordinaire de notre histoire. Jamais le gouvernement de la France ne fut plus original, plus tranché, plus hautement novateur. Rompant avec les principes les plus essentiels de la société du moyen âge, le roi petit-fils de saint Louis inaugura définitivement sur les ruines du droit ancien la conception de l’état, le pouvoir absolu du souverain, l’immoralité transcendante de la politique, une sorte de protestantisme, si l’on convient de désigner par ce mot la dévolution faite au laïque des fonctions relatives au maintien de la foi et à la surveillance de l’église. Peu de règnes cependant ont été jusqu’à nos jours plus mal connus. Ce roi extraordinaire, dont l’action cachée se montre partout si puissante, reste pour l’historien un mystère. On ne sait presque rien de sa personne; il n’a eu ni Joinville ni Commines; les chroniqueurs ne donnent qu’une idée tout à fait insuffisante de ses desseins. Les hommes qui l’entourèrent semblent de même avoir fui la publicité; leurs mémoires, leurs projets sont restés ensevelis jusqu’à notre temps dans les archives secrètes de l’état. Vigor, François Pithou, Dupuy, Baillet, les gallicans du XVIIe siècle, commencèrent les premiers à percer cette obscurité; mais ils se bornèrent à