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D’Anagni, nous le voyons sans cesse lancer contre le roi ces bulles d’un grand et beau style sonore, dont aucun pontife du moyen âge n’eut aussi bien que lui le secret. Ses cardinaux l’accompagnaient ; mais ils étaient loin d’approuver ses exagérations. Sans parler des Colonnes, expulsés du sacré-collège, beaucoup de cardinaux gémissaient des violences où ils voyaient leur fougueux chef se laisser emporter.

L’or de Nogaret avait déjà pénétré dans Anagni, et Boniface n’avait aucune défiance. Il était tout entier occupé à la composition d’une nouvelle bulle, plus ardente encore que les autres, qui devait paraître le jour de la Nativité de la Vierge, le 8 septembre. Cette bulle renouvelait l’excommunication contre le roi, déliait ses sujets du serment de fidélité, déclarait nuls tous les traités qu’il pouvait avoir faits avec d’autres princes. Boniface, dans cette bulle, parle des Colonnes ; mais il n’y dit pas un mot de Nogaret ni de ses associés. Évidemment, il ne se doutait pas du péril qui le menaçait. Au contraire Nogaret était averti de la nouvelle bulle préparée par le pape. L’excommunication portée contre le roi en des termes si redoutables eût été un coup très grave ; il résolut de la prévenir. Le samedi 7 septembre au matin, Nogaret, Sciarra, les seigneurs gibelins et la troupe qu’ils avaient formée se disposèrent à faire leur entrée dans Anagni. Hiricon, Gesserin, Mouchet, n’étaient plus avec Nogaret, car celui-ci déclare qu’il n’eut avec lui à Anagni que « deux damoiseaux de sa nation ; » d’ailleurs ces personnages ne figurent jamais dans les procès auxquels donna lieu la capture du pape ; ils étaient restés sans doute à Staggia. Quant à Nogaret, évitant tout rôle militaire, il affectait de n’être que l’huissier qui portait au pontife romain l’assignation fatale de son juge souverain.

La ville d’ Anagni trompa complètement la confiance que Boniface avait mise en elle. L’or de Philippe avait opéré son effet. Les portes furent trouvées ouvertes, et quand les lis entrèrent, ce fut au cri de Muoia papa Bonifazio ! Viva il re di Francia ! A côté de l’étendard du roi, Nogaret faisait porter le gonfanon de l’église, pour bien établir que c’était l’intérêt de l’église qui le guidait dans son exploit. La noblesse d’Anagni et quelques cardinaux du parti gibelin, entre autres Richard de Sienne et Napoléon des Ursins, se déclarèrent pour les Français. D’autres s’enfuirent déguisés en laïques ou se cachèrent ; beaucoup de domestiques du pape firent de même.

Les conjurés voulaient d’abord marcher droit sur le palais du pape ; mais il fallait passer devant les maisons du marquis Pierre Gaetani, neveu de Boniface, et de son fils, le seigneur de Conticelli. Ceux-ci, assistés de leur famille, résistèrent, firent des barricades. Les maisons sont forcées ; Gaetani est pris avec tous ses gens. Les palais de trois cardinaux amis du pape sont de même enlevés, et