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paraître ici qu’une singulière confusion de noms. Les seigneurs féodaux, dès le commencement du moyen âge, avaient suspendu aux troncs de certains arbres le bouclier et l’épée, signes de haute justice. C’était là qu’ils faisaient exécuter leurs sentences, de manière que le sol, tout à l’entour, avait pris le nom de terre rouge, c’est-à-dire arrosée de sang, rothes-land ; la ressemblance de ce dernier nom avec celui de Roland expliquerait toute l’énigme. Quant aux arbres de justice, ils avaient eux-mêmes remplacé des arbres que consacrait une antique tradition religieuse.

Rien d’étonnant si, du milieu de cette Germanie hostile, de terribles visions s’étaient dressées au-devant des Romains envahisseurs. Ils avaient franchi les premiers obstacles à la voix de leurs chefs, et s’étaient courageusement avancés au travers du pays inconnu; mais, quand ils parvinrent aux rives de l’Elbe et qu’ils s’apprêtèrent à le franchir, le jeune et ardent Drusus, frère de Tibère, qui les commandait, vit apparaître en avant du fleuve une femme d’une taille plus qu’humaine; elle lui dit en langue latine, suivant l’expresse remarque de Suétone, que son insatiable ambition devait avoir un terme, qu’il était parvenu à la fin de sa course et à la fin de sa vie. Quelques jours après, Drusus, qui s’était immédiatement résigné au retour, tomba de cheval, se blessa et mourut. Nul ne douta dans l’armée que la Germanie ne lui eût apparu elle-même pour défendre l’accès de ses solitudes et revendiquer son indépendance. Après avoir parcouru le vaste pays du Rhin à l’Elbe, après avoir construit quelques places et une ligne fortifiée d’Augsbourg, sur le Danube, à Cologne, sur le Rhin, les légions se retirèrent. On se contenta de découper dans la circonscription même de la Gaule belgique, sur la rive occidentale du Rhin, deux étroits territoires qu’on décora des noms de Germanies supérieure et inférieure : on avait ainsi, au lieu de l’immense contrée qu’on avait cru conquérir, deux soi-disant provinces nouvelles, prises tout entières en réalité sur le précédent domaine de l’empire, sauf quelques points de la rive orientale du fleuve. Rome comptait-elle faire illusion de la sorte aux autres et à elle-même, ou bien n’était-ce pas l’indice d’un changement de conduite traduisant une transformation de son propre génie?

Les Romains avaient toujours été un peuple d’esprit pratique. Le pays barbare qu’ils n’avaient pu dompter par les armes, ils s’appliquèrent à l’exploiter au profit de leur commerce. La volupté romaine fut très ingénieuse à profiter des ressources inattendues que lui offrait la région rhénane. Les matrones achetèrent avidement les chevelures dorées des femmes germaines, ou, pour teindre leurs propres cheveux, les pommades fabriquées dans le pays des Mattiaques ou de Wiesbaden. Les légions se familiarisèrent avec le voi-