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maîtres. Sous George III, les tories reprennent quelque influence, mais ce n’est qu’au prix de l’abandon de leur fidélité à une cause détestée par le peuple. Le souvenir des grandes luttes contre le despotisme religieux et politique sert d’auréole à la classe aristocratique, et la nation assiste comme de loin à ce duel des partis qui se disputent le pouvoir, les places, les dignités, le patronage. Il lui suffit de voir la royauté séparée de Rome et docile aux parlemens. Peu lui importe que les uns réclament tous ces biens comme un droit, que les autres les achètent par un peu plus de complaisance envers la royauté. Cette complaisance n’est déjà plus que de la courtoisie. Les grandes familles whigs, nées dans la pourpre, se transmettent la puissance politique comme un héritage. Elles imposent au roi des ministres qu’il déteste.

Il y a déjà un peuple anglais, mais ce peuple n’a que des passions simples, élémentaires, la haine du pouvoir absolu, l’horreur de Rome, un patriotisme jaloux. Tant que ces passions sont satisfaites, il ne demande rien de plus. Il ne se mêle point au drame politique. Les whigs deviennent les ennemis de la royauté roidie contre leurs prétentions, ils sont les champions de la suprématie parlementaire; cependant leurs ministères sont, comme ceux des tories, des ministères de patriciens. Dans celui de lord North (de 1770 à 1782), il n’y a que des pairs et des fils aînés de pairs; North, fils aîné d’un comte, reste presque seul aux communes. M. Pitt, qui succéda au ministère de coalition, fut seul aussi dans la chambre basse; tous ses collègues étaient des pairs. Le ministère d’Addington, qui le remplace, renferme cinq pairs et quatre aînés. Dans le deuxième ministère de Pitt (1804), il n’y a avec lui à la chambre des communes que Castlereagh. La puissance politique était un monopole, un patrimoine. Elle ajoutait quelques émotions de plus aux plaisirs et aux enivremens de la jeunesse. A vingt-neuf ans, lord Shelburne est secrétaire d’état, Pitt à vingt-cinq ans premier ministre. Chesterfield n’avait pas atteint sa majorité quand il entrait à la chambre des communes, ni Fox, ni lord Liverpool : celui-ci, à trente ans, négociait, comme ministre des affaires étrangères, la paix d’Amiens.

La guerre avec la révolution française et avec l’empire servit les intérêts de l’aristocratie. Elle la grandit outre mesure; elle hissa Liverpool, Castlereagh, des hommes médiocres, à la hauteur de la gloire impériale, et, quand Napoléon tomba de ce sommet où l’avait porté son funeste génie, ils y demeurèrent dans les rayons de Trafalgar, de Waterloo, admirés, redoutés, pareils à des dieux. Si l’Europe vit avec un étonnement et un respect nouveaux les représentans d’une politique si heureuse, si ses souverains mêmes se