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truire du même coup les agens de la consommation et de la rémunération du travail ; ils ne voient pas que sans les capitalistes les classes laborieuses se trouveraient dans l’impossibilité de réaliser aucun bénéfice.

Le capitaliste rend des services. C’est un indispensable rouage de transmission des forces, à défaut duquel tout s’arrête. C’est une utilité qui participe aux transactions des utilités. Il doit donc être payé à son tour, car « l’échange s’opère sur ce principe invariable : valeur pour valeur, service pour service[1]. » Comment sont payés le capitaliste et le lettré ? Par le revenu ; seulement, tandis que ceux qui travaillent de leurs mains reçoivent 100, ceux qui consomment sans produire reçoivent 5. Chaque année, la production ou la main-d’œuvre touche 100 francs, qui, bien que multipliés par la circulation, ne rapportent que 5 francs par an et 100 francs de remboursement au capital doublé au bout de vingt ans. Pendant tout ce temps, les 100 francs empruntés au capitaliste ont servi à entretenir le mouvement des affaires, puis l’opération recommence avec le même prêteur ou avec un autre.

Pour bien comprendre le mécanisme de la richesse sociale et des bénéfices de tous, il faudrait se figurer un vaste cercle ayant le capital pour centre. Chaque million partant de ce centre sous forme de capitaux d’exploitation est lancé dans la circulation des salaires, de la production, du commerce et des bénéfices ; il tourne à perpétuité dans le tourbillon des transactions, et ne renvoie annuellement au centre, c’est-à-dire au capitaliste, q le la vingtième partie de lui-même sous forme de revenu, et ce revenu retourne en totalité dans la circulation, soit sous forme de dépense, soit sous forme de nouveau capital disponible et productif. Ainsi l’on peut dire que le capitaliste livre des pièces de 20 francs à la circulation, qui lui rend annuellement autant de pièces de 20 sous, en attendant le remboursement, qui dans bien des cas n’arrive jamais, surtout pour la propriété foncière. Lorsqu’il est remboursé, le capital ne revient donc au centre que pendant un instant rapide et fugitif ; il faut, à moins d’être caché dans un trou et de ne rien rapporter, qu’il reprenne au plus vite sa place dans la circulation. Tout ce qui diminue la circulation et la quantité du capital sur un point de la circonférence la diminue sur tous les autres.

Il ne faut pas se préoccuper des craintes chimériques conçues par beaucoup d’esprits au sujet de l’épargne généralisée. Qu’arriverait-il, se dit-on, si tout le monde épargnait ? Cette appréhension tient toujours à la croyance qu’il est possible de mettre les capitaux

  1. Bastiat, Harmonies économiques, p. 233.