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parties ligneuses transformées par le séjour dans le corps de l’animal. De même le castor, se nourrissant de poisson et passant la plus grande partie de sa vie dans l’eau, absorbe, par la nutrition et par le bain, les molécules organiques vivantes propres à l’élément de l’eau, en quantité suffisante pour prendre quelque chose du poisson. La plus remarquable de ces hypothèses est peut-être celle par laquelle il explique comment la nature, après avoir créé avec une fécondité si prodigieuse, s’est arrêtée, et ne donne plus naissance à de nouvelles espèces. Il y a deux matières dans la nature, une matière brute et une matière vivante. La masse entière de la matière a été brute à l’origine ; mais peu à peu, sous l’action de diverses causes, une multitude infinie d’atomes, de molécules, ont été pénétrés de vie. Ces molécules se sont rapprochées et réunies selon leur degré d’affinité, se sont créé des moules par le moyen des molécules inertes, des moules que, par une vertu qui leur est propre, elles ont pénétrés dans toute leur étendue, se sont développées en êtres vivans et organisées avec une variété infinie. Quand un certain nombre d’êtres a été suffisamment multiplié, cette fécondité de la création s’est arrêtée, parce qu’une partie des molécules vivantes s’est trouvée employée à la nourriture des espèces existantes sous forme de végétaux ; mais, si toutes les races d’animaux disparaissaient et que les molécules primitives fussent rendues à leur liberté ancienne, il n’est point douteux qu’au bout d’une longue série de siècles elles produiraient de nouvelles espèces d’animaux, peut-être semblables à celles qui auraient vécu, plus probablement déformes et de forces nouvelles. La preuve en est dans l’Amérique, terre plus jeune que nos anciens continens, et dont les races d’animaux sont absolument différentes des nôtres, beaucoup moins nombreuses et remarquablement plus faibles, peut-être parce que le temps a manqué à la nature, peut-être aussi parce que sa force de fécondité va s’affaiblissant. Je ne prends pas parti pour les hypothèses de Buffon, elles vont loin ; je tâche seulement d’en faire ressortir l’ingéniosité et la grandeur, et de faire comprendre par cet exposé la forme d’imagination qui lui est propre.

Ce qui étonne chez Buffon, c’est qu’avec cette force d’imagination qui lui fait enfanter des hypothèses si variées, il n’a jamais une émotion, de quelque nature qu’elle soit. Il émet des conjectures merveilleuses, mais ces merveilles ne l’éblouissent ni ne le transportent en aucune façon, et il raconte que la terre est descendue du soleil, et que les mers sont tombées un beau jour sur la terre des hauteurs de l’espace où elles étaient retenues, sans plus d’émotion, de tressaillement et d’admiration, que s’il s’agissait d’un ancien incendie d’une tourbière éteinte depuis longtemps ou d’un vieux dé-