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comète dans sa course rencontre le soleil, frappe sur cette masse enflammée un coup oblique et renvoie dans l’espace une partie de la matière qui le compose. Cette matière s’arrête et s’échelonne selon les divers degrés de pesanteur et de densité des parties qui la composent; les plus fines et les plus légères sont celles qui sont poussées le plus loin, les plus pesantes, en vertu de la toute-puissance de l’attraction, sont retenues plus près du soleil; de là le système planétaire auquel nous appartenons et la place que nous occupons dans cette hiérarchie d’astres. Voulez-vous un exemple d’hypothèse qui vous fasse remonter au-delà des âges historiques, jusqu’à cette époque où les animaux étaient les seuls maîtres de l’univers, et qui s’accorde avec les récits légendaires des antiques poèmes de l’Inde, — les combats de Rama contre le roi des singes, et les exploits divins ou mal faisans des animaux, vaches célestes, tigres géans, oiseaux prophétiques, — prenez l’hypothèse qu’il a développée dans son chapitre du cerf, dans son chapitre du castor, dans d’autres encore. Nous ne savons pas et nous ne saurons jamais plus quel degré de sociabilité la nature a donné aux animaux, et jusqu’à quel point ils ne sont pas capables de former des sociétés véritables. Nous ne le saurons jamais parce que notre présence les a rendus sauvages, et que leur instinct, une fois dénaturé par la crainte et en quelque sorte oblitéré par le prolongement du danger, a fini par changer entièrement leur nature. Nous voyons que les sociétés d’animaux ont subsisté pour quelques espèces jusqu’à nos jours dans tous les lieux où ils n’ont pas été troublés par le voisinage de l’homme; l’exemple des castors prouve jusqu’à l’évidence que notre présence, après avoir d’abord gêné leur instinct, finit par le détruire. Ils ne vivent plus en société que dans quelques districts du Canada; dans tout le nord de l’Europe, où ils étaient si nombreux jadis, et où ils étonnaient par leur habileté d’architectes, ils ont délaissé les lacs qui leur étaient chers, ont oublié leurs arts, et vivent dans des terriers où ils rampent tristement comme des brutes qu’ils sont devenus. Nous avons compté dans l’état actuel du monde un petit nombre d’espèces susceptibles de se former en sociétés; mais sommes-nous bien sûrs que ce compte soit aussi restreint, sommes-nous aujourd’hui fondés à déclarer que la nature n’avait créé que celles-là susceptibles de sociabilité? Voilà une idée à ravir M. Michelet, et en réalité il s’en est rappelé dans plus d’un chapitre de ses jolies fantaisies d’histoire naturelle. Et cette hypothèse si ingénieuse sur l’origine du bois du cerf et de la queue écailleuse du castor! Le bois du cerf est un bois véritable dont la cause doit être cherchée dans la nourriture ligneuse du cerf, qui se repaît de jeunes pousses d’arbres, de mousses, de lichens; c’est un bois composé de