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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/496

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REVUE DES DEUX MONDES.

Juarez comme à peu près perdue, quoique une dépêche du 28 février annonce que les rel)elles ont emporté San-Luis.

On ne peut nier que le gouvernement libéral de Juarez a donné quelques bons résultats. Malgré l’impuissance des ressources, il a beaucoup fait pour les écoles, il a poussé avec énergie les travaux publics : canaux, chemins de fer, télégraphes, ont été construits à grands frais. Le télégraphe qui devait relier Mexico à la première station des États-Unis était achevé à la fin de l’année dernière, et on préparait l’immersion d’un câble électrique entre le Yucatan et l’île de Cuba. La liberté religieuse n’est plus au Mexique un vain mot : les protestans sont admis à célébrer leur culte dans les églises qui leur ont été concédées dans toutes les grandes villes. D’un autre côté, on se plaignait, il est vrai, des allures despotiques de Juarez, et on lui reprochait des dilapidations par lesquelles des fonds publics allaient dans les poches de ses séides. Les hommes du gouvernement exploitaient leurs positions avec un sans-gêne trop cavalier. Escobedo achetait à des taux fictifs des biens d’impérialistes confisqués et vendus aux enchères ; Romero, comme ministre des finances, avait acquis, disait-on, à vil prix des biens d’église sécularisés. Ces facilités faisaient envie à ceux qui n’étaient pas admis au partage. « Ôte-toi de là que je m’y mette, » c’est le mot d’ordre de cette société perdue d’égoïsme et habituée aux bouleversemens.

Depuis la chute de Maximilien, l’Allemagne seule avait renoué ses relations diplomatiques avec la république mexicaine ; l’Espagne l’a suivie dans cette voie tout récemment. L’Angleterre et la France ne sont toujours pas représentées à Mexico. On sait que Juarez a répudié toutes les dettes de l’empire, les emprunts, les réclamations françaises, et que, tout en reconnaissant ce qui était dû aux créanciers anglais, il n’a presque rien fait pour les désintéresser. Néanmoins le pays ruiné par la guerre fournissait à peine des revenus suffisans pour entretenir les rouages administratifs. Cette détresse persistante du trésor empêche le gouvernement de réduire les impôts qui écrasent l’industrie, et de réformer le système excessivement vexatoire des douanes. On est obligé de faire flèche de tout bois, per fas et nefas. Lorsqu’au mois de juin dernier le général Rocha était parvenu à dompter définitivement la sédition de Tampico, le ministre des finances exigea des commerçans l’acquittement de tous les droits que les rebelles avaient déjà perçus une première fois pendant qu’ils étaient maîtres de la place. Ces droits sont pourtant le prix de la protection que l’état s’engage à fournir à tout citoyen. Le premier soin des chefs d’une insurrection est toujours de confisquer le numéraire qui n’a pas eu le temps de se cacher, de mettre l’embargo sur les navires dans les ports, de s’assurer en un mot le nerf de la guerre. Aussi, dans ce pays, le crédit n’existe pas.

On a essayé de créer à Mexico une banque nationale, qui eût pu faire des avances à l’état et commanditer des entreprises industrielles ; mais