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devient alors de la terreur panique ; le sexe fort, représenté par eux médiocrement à son avantage, abandonne le champ de bataille et demande son salut à la fuite la plus précipitée.

Telle est l’idée sur laquelle repose la très jolie comédie de l’Autre Motif, par M. Édouard Pailleron, et ces réflexions montrent qu’il y a une étoffe solide sous la situation plaisante où son esprit et sa gaîté naturelle se jouent à leur aise. Mme d’Hailly, jeune femme séparée de son mari, reçoit les hommages désintéressés et repousse les autres ; c’est une vertu positive et bien avisée qui arrête à temps les entreprises quand elles cesseraient d’amuser sa coquetterie sans calcul et sans méchanceté, elle n’apprend qu’à la fin de l’acte son veuvage. George de Piennes l’aime sincèrement et ne peut croire qu’elle ignore ce qu’il sait parfaitement, la mort du mari. Claire, sœur de George et amie intime de la jeune femme, est chargée d’annoncer à celle-ci sa liberté ; mais son début naturellement embarrassé trompe Mme d’Hailly sur la nature de cette mission, sur la délicatesse parfaite de son amie, et l’empêche d’écouter jusqu’au bout. Au milieu de ces malentendus, les spectateurs sont avertis qu’il y a quelque chose que Claire n’a pas pu dire, mais ils l’oublient pour suivre le courant de la scène et rient volontiers de tout ce qui fait rire cette honnête et spirituelle Mme d’Hailly ; ils rient de ce brave George de Piennes, qui est traité comme le commun des adorateurs. Voilà un fond où vient se dessiner le petit monde qui tourne d’ordinaire et s’agite autour d’une femme séparée de son mari, et en même temps un imbroglio amusant, noué avec habileté, ménagé avec finesse, dénoué d’une façon qui n’était pas trop prévue.

Sans doute Mme d’Hailly séparée de son indigne mari, un ivrogne, aurait pu vivre dans une retraite absolue ; plus dévouée qu’une veuve du Malabar, elle se serait sacrifiée du vivant de son époux. Que les femmes capables de s’enterrer vivantes lui jettent donc la première pierre ! Elle demeure un modèle aussi gracieux qu’irréprochable pour toutes celles qui restent dans le monde et s’y font respecter. Les victimes de son innocente coquetterie sont les gens les moins à plaindre, des coureurs d’aventures qui se réservent par profession pour soulager le poids de ces chaînes non brisées et d’autant plus commodes pour eux, des vaniteux qui demandent à ces sortes de liaisons la preuve très équivoque d’un amour librement offert. Mme d’Hailly s’amuse donc à bon droit de l’égoïsme des uns et de la fatuité des autres. Elle a trouvé une méthode qui garantit sa sûreté, des procédés dont le détail réjouit for le public. Elle divise en quatre périodes la cour assidue qui lui est faite par ces amoureux qui se ressemblent tous. La première se compose de politesse exquise, d’attentions furtives, de mots brillans ménagés avec sobriété par esprit d’épargne et de prévoyance. De la verve et de l’entrain, des projets d’amitié, un gant ôté, une poignée de main, un shake-hands qui sent son gentleman, composent la seconde. Avec la