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dans les profondeurs de notre caractère national, dans notre éducation politique, religieuse, philosophique ; mais les causes secondes ont aussi leur importance : ce sont elles qui déterminent les crises dont l’heure pourrait être indéfiniment retardée. Or il en est une dès longtemps soupçonnée des esprits clairvoyans et par eux signalée comme un péril bien avant le moment du danger : c’est la politique impériale. Cette politique, cause ou occasion de nos désastres, nous en voudrions essayer une analyse, avec la liberté qui est le droit de l’histoire, sans les colères, sans les récriminations, qui, alors même quelles semblent le plus justifiées, répugnent à son génie.

Mais d’abord le second empire a-t-il jamais eu une politique ? Est-il possible de trouver un lien qui réunisse toutes ces entreprises hétérogènes, les guerres de Crimée, d’Italie, du Mexique, les négociations pour la Pologne, le Danemark, l’Allemagne, jusqu’à la folle campagne de 1870 ? Chercher dans ces dix-huit ans, si pleins d’hésitations, de tâtonnemens de toute sorte, dans cette politique décousue où les expédiens tenaient une si grande place, où les contradictions avaient tant de peine à se déguiser, chercher une ligne de conduite préconçue, quelque chose qui ressemble à un plan, paraît au premier abord une chimérique prétention. Cependant, pour qui étudie le caractère du dernier empereur et compare les écrits de sa jeunesse aux tentatives de son règne, il n’est point difficile de retrouver dans ce chaos apparent quelques idées dominantes, quelques tendances persistantes, qui formaient le fond de sa politique ou lui en tenaient lieu.

Napoléon III était essentiellement un songeur, un esprit à la fois méditatif et romanesque, visiblement enclin à l’utopie. Le propre de ce genre d’esprits, c’est de couver certaines idées, de poursuivre des rêves plus ou moins définis, d’y revenir à travers des détours plus ou moins longs, sans que cette disposition implique le moins du monde l’esprit de suite. Loin de là, le but de ces rêveurs demeure le plus souvent vague, indécis. Leurs songes gardent toujours quelque chose de flottant ; ils sont d’autant moins déterminés qu’ils sont plus amples, et ceux de Napoléon III, avec son nom, avec la mission qu’il se croyait, ne pouvaient laisser d’être des plus vastes.

De bonne heure, le jeune Louis-Napoléon fit part au public de ses méditations politiques ; il les lui communiquait, pour ainsi dire, à mesure qu’elles prenaient forme dans son imagination. Dès 1831, avant la mort du duc de Reichstadt, il donnait lui-même le titre de Rêveries politiques à ses premières pensées sur le gouvernement de la France. Quelques années plus tard, en 1839, le jeune prétendant publiait dans ses Idées napoléoniennes l’ensemble de ses rêves sur la