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politique intérieure et extérieure, en un mot toute la théorie impériale. Quand on lit ces élucubrations de jeunesse, qu’on les rapproche des actes, des discours, et surtout des velléités et des tendances du second empire, il est impossible de n’être point frappé du lien qui les rattache. Au lieu d’un parvenu surpris de sa fortune, en usant selon l’inspiration ou l’intérêt du moment, dans cet homme, qui pendant quinze ans avait médité avec une si persistante conviction sur la vocation du bonapartisme, on reconnaît bien plutôt un spéculatif qui, une fois maître du pouvoir, en profite pour appliquer des idées, des formules plus ou moins arrêtées. A plus d’un égard, la France, sous sa domination, semble aux mains d’un esprit à systèmes poursuivant à travers différens essais la réalisation de ses théories. Difficile à contester dans la politique intérieure, où tant de mesures politiques ou économiques montrent la France livrée aux expériences de son souverain, ce point de vue n’est pas moins vrai dans la politique étrangère. Là aussi, en rapprochant les écrits du prétendant des actes de l’empereur, on trouve quelque chose de persistant, un ensemble de vues ou de tendances que, faute d’autre mot, on nous permettra d’appeler un plan. Ce plan ou mieux ce songe impérial, il est aisé d’en saisir les origines dans les traditions du premier empire et la situation de la France et de l’Europe après 1815. En étudiant ces idées, en partie empruntées au prisonnier de Sainte-Hélène, on voit que rarement l’ambition se proposa une plus vaste carrière, et que jamais dans l’histoire conception politique n’aboutit à un pareil avortement.


I

Le besoin d’ordre, de repos à tout prix, qui suit les révolutions avait été le fondement de la fortune souveraine de Napoléon III comme de Napoléon Ier. Tous deux avaient dû leur élévation aux souffrances et à l’effroi des intérêts ; tous deux avaient reçu pour tâche de garantir aux masses de la nation, médiocrement soucieuses de liberté politique, les conquêtes civiles de la révolution. Ce que le matérialisme politique des foules, ce que le scepticisme découragé des hautes classes réclamaient du neveu comme de l’oncle, c’était la sécurité au dedans et au dehors, c’était la faculté de vivre, de travailler ou de jouir en repos. Ils eurent, l’un et l’autre, conscience de ce mandat : ils se piquèrent de le remplir, mais ne s’en contentèrent point.

Napoléon III avait dit : L’empire c’est la paix. L’enthousiasme naïf des masses accueillit ces mots comme un programme. C’était une illusion et un malentendu ; elles furent longtemps à s’en apercevoir. Ce que la nation souhaitait par-dessus tout, c’était la paix