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intérieure, et l’empire la lui donnait. Quant aux guerres qui ne touchaient point le sol national, où s’acquérait une gloire qui semblait facile et n’était pas trop dispendieuse, la France des bourgeois et des paysans s’en accommodait sans peine ; elle s’en montrait même volontiers fière. Pour s’être faite industrielle et positive, la France n’en gardait pas moins un certain levain de son ancien esprit militaire. Elle était comme un homme d’épée qui, devenu bourgeois, se plaît à conserver les allures de son ancienne profession. La restauration et la monarchie de juillet avaient cru bon, dans quelques expéditions sans danger pour le pays, de donner de temps en temps satisfaction à cette fibre nationale. Cela avait été pendant vingt ans la principale utilité de l’Algérie. Dans le mouvement sincère, mais sans dignité, avec lequel la France accueillit le coup d’état de décembre et l’empire, il y avait, sans qu’elle s’en rendît compte, ce double sentiment, ce vœu contradictoire qui devait la perdre, désir passionné de repos, démangeaison de gloire extérieure.

Napoléon III le sentait. C’était le nom de Napoléon qui avait rétabli sa dynastie. Un peuple qui avait une telle faiblesse pour un tel nom ne pouvait pas ne plus en avoir pour la gloire qu’il rappelait. Un Napoléon pacifique, un empereur bourgeois uniquement occupé du bien-être du pays, une sorte de Louis-Philippe autocrate eût été un contre-sens ; bien plus, pour ceux qui l’avaient élu, c’eût été une déception. Les noms ont sur ceux qui les portent une influence dominante, souvent fatale ; ils tiennent lieu de vocation. Napoléon III était de sa nature un homme pacifique, songeur, point du tout militaire. N’importe, il s’appelait Napoléon, il portait le titre d’empereur ; en l’acclamant, la France s’était donné un gouvernement condamné par ses souvenirs aux grandes ambitions et par là aux grandes aventures, aux grands périls.

Pendant toute sa carrière, le nouvel élu devait travailler à remplir cette difficile destinée napoléonienne. Il fallait découvrir un rôle pour ce nom si gros de promesses ; il fallait l’adapter sans l’amoindrir à notre société laborieuse et pratique, si différente de celle du commencement du siècle. De bonne heure, dans sa foi obstinée à sa vocation impériale, le futur empereur s’était posé ce problème : comment, au milieu des tendances pacifiques et industrielles du XIXe siècle, refaire un second empire, digne successeur et continuateur du premier ? Il allait de soi qu’on ne pouvait songer à une copie servile du gigantesque et fragile édifice écroulé en 1814. A l’intérieur, la tâche était relativement facile. L’ancien régime impérial pouvait aisément être imité, presque calqué. Selon le mot de Napoléon Ier, il n’y avait guère qu’à refaire son lit et à s’y coucher. Au dehors, il en était tout autrement. En face de l’Europe telle que l’avait laissée la sainte-alliance, il fallait une base d’action