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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/567

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pour la paix et la liberté. Ainsi lui disait son entourage, ainsi lui murmurait sans cesse à l’oreille le césarisme. « Faites grand ! » conseil funeste qui a perdu tous ceux qui l’ont accueilli, tentation de tous les instans qui exposait l’empire à un péril permanent.


IV

En dehors du caractère du souverain, en dehors des nécessités du régime impérial, les rêves politiques de Napoléon III devaient rencontrer un autre obstacle dans la France elle-même. Pour le succès de cette utopie pacifique et humanitaire, il eût fallu que, selon les projets attribués à Henri IV, la nation qui en prit l’initiative se conciliât toutes les autres par sa modestie et son désintéressement. Il eût fallu que dans le plan impérial la condition particulière et égoïste, — l’agrandissement du territoire français, — restât subordonnée à la tâche générale, la reconstruction de l’Europe par nations également indépendantes. Or, quand ses traditions le lui auraient permis, l’empire n’eût point été libre de renoncer à cette condition première de grandeur nationale. Chaque fois qu’il semblait se résigner à l’agrandissement de ses voisins sans exiger de compensations pour nous, la France, inquiète pour sa sûreté en même temps que pour sa grandeur, s’en montrait déçue et irritée. Se croyant des droits naturels sur tout le territoire de l’ancienne Gaule, des Pyrénées aux Alpes et au Rhin, elle ne pouvait voir d’anciens rivaux croître à ses côtés sans désirer pour elle-même des accroissemens analogues.

Depuis la fin du dernier siècle, la France s’était toujours montrée sympathique aux nationalités asservies. Entraînée à la fois par sa générosité naturelle et par l’esprit de la révolution, elle paraissait toute préparée à être le principal instrument de l’émancipation des peuples et de la constitution d’une Europe nouvelle. Cependant les sympathies françaises ne s’adressaient guère qu’aux faibles, aux peuples qui, dans leur abaissement, leur petitesse ou leur éloignement, semblaient hors d’état de jamais porter ombrage à leur protectrice. Cet intérêt instinctif ne s’étendait pas aux peuples qui, indépendans de l’étranger, souffraient, ainsi que l’Allemagne, d’un mal plus caché, la division intérieure, le morcellement féodal, mal que la France aurait ressenti plus que personne, dont elle s’était appliquée à effacer toutes les traces dans son sein, mais qui chez ses voisins lui semblait une condition d’existence normale. L’histoire l’avait habituée à ne voir près d’elle sur le Rhin et les Alpes que de petits états divisés entre eux, clientèle docile de sa diplomatie ou proie facile de ses armées. Elle regardait cette situation comme une