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telle fut la devise de Nogaret. C’est en intervertissant sans cesse les rôles, en quittant la sellette de l’accusé, dont on ne se levait guère au moyen âge ; que pour marcher au supplice, et en s’asseyant d’un air arrogant sur le siège de l’accusateur, qu’il sortit riche, triomphant, anobli, d’un exploit au bout duquel, selon toutes les vraisemblances, il devait trouver la prison perpétuelle ou la mort.

Il ne tarissait pas pour sa justification, et, pendant le mois de septembre 1304, il s’écoule à peine un jour où l’on n’ait de lui quelque pièce notariée. Un acte passé le 12 septembre devant l’official de Paris représente que le saint-siège mal informé peut rendre un jugement susceptible d’être cassé, que le pape légitime ne saurait persécuter celui qui a fait la bonne action de s’opposer à ceux qui ruinaient l’église. Si quelque antéchrist envahit le saint-siège, il importe de lui résister, l’église n’est pas offensée d’une telle résistance ; si l’ordre ne peut se remettre sans la force, il ne faut pas pour cela se désister du droit, et, si pour la cause du droit il se commet des violences, on n’en est pas responsable. Ce cas est le sien : serviteur de Jésus-Christ, il a été obligé de défendre l’église de Dieu ; Français, il a dû combattre pour sa patrie misérablement déchirée, ruinée par un cruel ennemi. Loin d’être sacrilège, il a sauvé l’église. S’il y a eu quelque excès commis mal à propos, il en demande pardon en toute humilité. Le vol du trésor d’Anagni n’a pas été de sa faute ; il n’a pu l’empêcher. Il n’a pas touché à Boniface, il n’a pas commandé de le prendre ; il a seulement empêché que ce méchant homme ne fit plus de mal. Cette action d’ailleurs, il l’a faite non par haine, mais par amour de la justice. Le pape Benoît, trompé par ses ennemis et procédant sans l’ouïr, a prononcé qu’il est tombé in canonem latœ sententiœ, et l’a cité par-devant lui à Perouse pour ouïr sa sentence. Comme si Boniface ne l’avait pas absous à Anagni même, dès qu’il fut en liberté ! Il n’a donc eu garde de se rendre à cette invitation de Benoît. Le saint-siège vacant ne doit pas non plus trouver étrange qu’il ne comparaisse pas, attendu le danger des chemins. Un jour il fera voir son innocence, dans le concile où Boniface sera jugé ; en attendant il s’adresse provisoirement à l’official de Paris, son ordinaire à cause de son domicile. En réalité, il n’a été excommunié ni par Boniface, ni par Benoît ; il ne se croit lié par aucune sentence, puisque lui et ceux qui l’assistaient à Anagni furent absous par Boniface devenu libre, ce qu’il offre de prouver. Il demande seulement à l’official qu’il ait à l’absoudre ad cautelam ou autrement, comme bon lui semblera, étant prêt du reste à obéir en tout aux commandemens du saint-siège ; dès à présent il récuse les fauteurs de Boniface, qu’il nommera en temps et lieu.

Le 16 septembre, nous avons encore d’autres pièces de Nogaret