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église dans un quartier de la ville qui dominait la mer, et y fonda un office du jour et de la nuit.

En réfléchissant à son isolement en face de l’empire, la vaillante fille eut peur. L’empire d’Orient n’était plus ce qu’elle l’avait connu en 414, lorsque, à peine âgée de seize ans, elle en avait tenu les rênes. À cette époque, le calme régnait à l’intérieur, et l’on n’avait à redouter au dehors que les Perses, faciles à vaincre; mais maintenant tout était changé. Jamais plus formidable tempête n’avait été suspendue sur le monde romain. Attila agglomérait dans la vallée du Danube toutes les populations sujettes des Huns, depuis la Caspienne jusqu’à l’Océan-Glacial, et depuis les monts Ourals jusqu’aux Carpathes. Or l’on se demandait où devait s’abattre cette avalanche de peuples inconnus, sur l’Orient ou sur l’Occident. Les Vandales, maîtres de l’Afrique, présentaient un semblable danger par mer; les peuples germains et slaves s’agitaient dans les forêts de l’Europe, les tribus sauvages de la Libye et de l’Ethiopie dans les déserts voisins de l’Egypte : c’était comme une conjuration de la barbarie universelle pour anéantir l’œuvre de Rome et la civilisation.

Pulchérie comprit que l’énergie morale d’une femme ne suffirait pas à de telles conjonctures, qui réclamaient l’action d’un homme, et d’un homme nourri dans la guerre. Cet homme lui manquait dans sa famille, elle le chercha au dehors. Elle eut l’idée de s’associer un collègue au gouvernement, sinon un mari. Pulchérie comptait alors cinquante et un ans révolus, et avait passé l’âge d’avoir des enfans : de plus elle voulait observer jusqu’à la fin de sa vie l’engagement d’une continence perpétuelle qu’elle avait pris dans sa seizième année par un dévoûment fraternel si mal récompensé. Mais quel homme appellerait-elle à l’honneur de siéger à ses côtés sur le trône des césars? En parcourant dans sa pensée le sénat et la cour, elle arrêta son choix sur un vieux soldat que son caractère et l’estime publique lui eussent au besoin recommandé comme un digne époux pour la petite-fille de Théodose, et un chef capable de soutenir l’état sur le penchant de sa ruine. Elle le manda près d’elle, et lui exposant ses appréhensions et son projet : « C’est à vous que j’ai pensé, lui dit-elle, pour être l’appui de l’empire et le compagnon de mes rudes travaux. Je cherche un collègue et non un mari, car je garderai, comme je m’y suis engagée devant Dieu, le vœu de chasteté formé volontairement dans ma jeunesse. Notre union serait à ce prix. » Marcien promit tout ce qu’elle voulut. Pulchérie, convoquant alors le sénat, lui fit part de sa résolution et de son choix. Les fiançailles eurent lieu par les soins du patriarche Anatolius, et l’époux d’Augusta fut proclamé lui-même Auguste à l’Hebdomon, en présence du sénat, de l’armée et du peuple, le 24 août 450, moins d’un mois après la mort du second Théodose.